Les portes de Gaza : une lecture pour comprendre... ou essayer de comprendre

C'est un témoignage, un récit de guerre mais aussi une intelligente mise en perspective des relations entre Israël et la Palestine depuis 70 ans. Avec Les portes de Gaza, Amir Tibon, journaliste à Haaretz raconte donc son 7 octobre 2023 quand il a été pris sous le feu des roquettes dans son kibboutz de Nahal Oz, le plus proche de Gaza et qu'il a décidé, comme prévu en cas d'attaque, de se réfugier avec sa femme et ses deux jeunes enfants, dans la pièce sécurisée de leur maison. Il détaille les longues premières minutes, le réveil de ses enfants, la frayeur quand il comprend que les terroristes du Hamas entrent dans le kibboutz, le bruit des balles, l'urgence à ne pas faire de bruit, les conversations terrifiées sur whatsapp, les appels au secours vers l'armée, les nouvelles des voisins... et les heures qui défilent. Amir Tibon déroule aussi la journée de son père, ancien général, parti à son secours, celle d'un couple du festival Nova tout proche, celle également du chargé de sécurité de Nahal Oz. Bien entendu que c'est un texte très lourd, difficile, qui se veut factuel mais pas sans émotions, comment le lui reprocher ?, puisque Amir Tibon parle à la première personne et raconte aussi l'histoire de ses voisins, de ce kibboutz à une heure de Tel Aviv, considéré au départ comme un havre de verdure, une communauté pacifiste, fondé sur des idéaux socialistes...
Mais en bon journaliste, il refait aussi l'historique du conflit Israël-Palestine, remontant à 1953. Et le plus intéressant, le plus éclairant demeure le chapitre " Rêveurs 1992 - 2007 " et le tournant des Accords d'Oslo qui voient, d'un côté, le Hamas vouer une haine à Arafat et l'OLP  avec cette fin terrible " la prise de contrôle de Gaza a été cruelle et brutale : les officiers et fidèles de l'Autorité palestinienne ont été torturés par les militants du Hamas, humiliés dans les rues et tués en étant jetés du haut des toits... " Et de l'autre côté, c'est l'extrême-droite israélienne qui crie à la trahison : il va y avoir l'assassinat d'abord de Rabin puis la montée progressive, implacable, de Nétanyahou, opposés aux Accords. Ainsi Amir Tibon tisse le fil de la situation explosive, des positions devenues extrêmes jusqu'au "dernier week-end de septembre, mon collègue Amos Harel, analyste de longue date de la défense pour Haaretz, a averti dans son éditorial qu'Israël semble se convaincre lui-même d'une hypothèse erronée selon laquelle le Hamas est engagée dans une tranquillité à long terme... " Analyse qui explique aussi, outre le week-end de fêtes religieuses du 7 octobre, la tardive réponse militaire de Tsahal ce jour-là.
Les portes de Gaza est un vrai document, tout comme une somme de réflexions relativement objectives sur l'histoire de ce conflit. Surtout le texte explique assez bien la situation d'aujourd'hui, en octobre 2024. Et donne, malheureusement, peu de raisons d'espérer à une sortie de crise pacifique.

Les portes de Gaza (The gates of Gaza, trad. Colin Reingerwitz), ed. Bourgois, 440 pages, 24 €