Littérature noire
21 Octobre 2024
Il y a un malentendu David Peace. Depuis son monstrueux quatuor du Yorkshire, l'homme est catalogué auteur de polars. Peut-être pas par ses fins connaisseurs, les exégètes de la bibliographie de cet Anglais déroutant qui savent que sa plume est multiple. Pourtant, pour le voir, l'approcher, les rares fois où il débarque dans l'hexagone, il faut, le plus souvent filer à Quais du polar à Lyon ou dans un autre festival du genre. Mais quand on y réfléchit bien GB 84, ce n'était tout de même pas du polar. Ni 44 jours ou Rouge ou mort. Reste la trilogie tokyoïte, clairement du roman noir tout comme le regard aiguisé d'un occidental sur son pays d'accueil, trois romans denses qui sont des véritables scanners de l'histoire contemporaine du Japon.
Et voilà donc Patient X, attendu depuis quelques années (2018, Faber & Faber) par cette version hard core du lecteur de polars : le fan de David Peace. Celui-ci écrirait le calendrier de Premier League que ses inconditionnels se précipiteraient. C'est ainsi.
Patient X est une biographie personnelle de la vie de Ryunosuge Akutagawa (1892-1927). Pour ceux qui ne sont pas férus de littérature nippone, il s'agit ni plus ni moins que du père de la nouvelle japonaise, génie tourmenté et auteur entre autres de Rashomon. Si David Peace lui rend hommage, c'est parce qu'il a énormément compter dans sa vie personnelle et professionnelle. Arrivé en 1994 au Japon, David Peace s'est tourné vers la culture de ce pays à travers la littérature et donc Akutagawa. Si on sait à quel point Ellroy a été important dans les premiers pas de Peace, on savait moins l'influence du novelliste japonais. Et tout cela, il l'explique très bien dans ce merveilleux entretien réalisé il y a peu à la Maison de la poésie.
Avec douze nouvelles, douze histoires, l'Anglais raconte donc le Japonais. Qui eut une vie folle, chaotique, comme les affectionne l'auteur de Rouge ou Mort. Dans sa scansion unique, dans son style enfiévré, à base de répétitions et d'obsessions, David Peace retrace la vie, courte, d'un auteur aux prises avec sa création, sa double identité, sa foi chrétienne. Il y a de la schizophrénie bien entendu, il y a aussi, et Peace l'explique bien en fin de roman, une époque d'ouverture du Japon, à l'Occident, aux autres cultures.
Bien entendu que Patient X est intéressant. Passionnant, c'est difficile à dire tant il s'agit d'une plongée au coeur de la société japonaise, bien plus qu'avec la trilogie tokyoïte. Le lecteur se retrouve avec de multiples personnages, pas toujours simples à identifier, des instants de culture japonaise qui échappent aux gaijin que nous sommes. Reste la prose de Peace. Et là, c'est une nouvelle fois, du très grand art, des lignes de pure transe. " Ici, la mort et l'enfer, une mort sans fin et un enfer sans fin, sa nuque se brisant éternellement, ici, son sang éternellement siphonné, éternellement empoisonné, et lui, se noyant sans cesse, se noyant sans fin, ici dans la rivière, la rivière des Péchés, gorgée de sang et bouillonnant, bouillonnant encore et encore, ici au pied de la montagne des Crânes. " Ce sont exactement ces instants déglingués que cherchent les fans de Peace, des moments qui emportent dans un vortex de malaises, de vertiges, de mort, façon Au coeur des Ténèbres.. Une sorte de gothique british dont on ne se lasse jamais.
Patient X (trad, Jean-Paul Gratias), ed. Rivages, 429 pages, 24 euros