Littérature noire
24 Octobre 2024
Après les fantômes de la guerre en ex-Yougoslavie chez Pavicic, voici ceux des Troubles irlandais, pour le premier roman de Michael Magee, le bien nommé Retour à Belfast. En l'occurrence celui de Sean Maguire, la vingtaine, revenu dans sa ville natale après avoir décroché un diplôme littéraire à Liverpool. Et, bon, comme chacun sait, où travailler avec un tel bout de papier ? Dans une boîte pardi. Malgré son goût pour les livres, pour la culture de manière générale, Sean se laisse emporter par les habitudes de fêtes avec Ryan, son ami et colocataire, avec Finty aussi. Ce sont des nuits à boire, à sniffer des rails sur les chiottes de tous les pubs de la ville. Et puis il y a la famille de Sean. Une mère, plus toute jeune, au corps en miettes à force de faire des ménages payés 8 livres de l'heure. Anthony, lui, c'est le grand frère barge, violent et protecteur, alcoolique et paranoïaque. Cherry on the cake : le père a fui lorsque des attouchements sur Anthony ont été révélés. Scandale qui a vu l'IRA tenter de résoudre drastiquement la question. Parce que l'on est républicains dans cette famille. Les Troubles, on les a vécus. La petite fille partie chercher du lait abattu par un soldat anglais. Les jeunes dealers de drogues aux genoux flingués par l'IRA. Et puis les horreurs des milices protestantes. Le temps a fait son oeuvre mais les souvenirs douloureux ressurgissent parfois, au détour d'une fresque, d'un nom.
Retour à Belfast est une totale réussite parce qu'il conjugue avec beaucoup de force le portrait d'une jeunesse perdue dans ses addictions, l'attachement à sa ville et les cicatrices d'un conflit. A la force d'attraction du déterminisme social, Michael Magee oppose l'art et son ouverture, son rapport avec le beau, l'inédit. " Je me suis installé dans la rangée du milieu et j'ai regardé la salle se remplir peu à peu autour de moi. Ça paraît idiot, mais j'étais fier de moi. J'avais franchi une sorte de seuil. Comme la fois où j'étais allé à ce vernissage avec Mairead, puis à cette soirée de poésie. Jamais je n'aurais pris de moi-même ce genre d'initiative, avant. Jamais je ne serais aller voir un film tout seul. "
Rien n'est cliché dans ce roman où le sol des pubs colle, où les appartements sont toujours trop petits et les jobs rarement excitants. L'auteur a la sagesse de ne pas tirer la larme inutilement, alternant entre un drame social et un roman de génération. L'équilibre tient jusqu'au bout et on a envie de prendre ce personnage de Sean par les épaules, de lui payer un coup, de lui offrir un autre roman de Kundera.
Retour à Belfast (Close to home, trad. Paul Matthieu), ed. Albin Michel, 416 pages, 22, 90 euros