Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
The killer inside me

Littérature noire

Une tombe pour deux : l'amour, la mort en Caroline du Nord

Jacob Hampton a juste une vingtaine d'années quand il quitte Blowing Rock, Caroline du Nord, pour se battre en Corée. Derrière lui, il laisse des parents, Daniel et Cora, notables de la petite ville qui viennent de déshériter ce fils unique après qu'il se soit marié, contre leur volonté, avec, Naomi, une femme de chambre. Jacob avait écouté son coeur, quitté le foyer familial et acheté une petite ferme où sa jeune épouse, désormais enceinte, devait l'attendre, en compagnie de Blackburn, le meilleur ami de Jacob, atteint de polio depuis son enfance et travaillant pour le révérend, à l'entretien de l'église comme à celui du cimetière. Quand les parents Hampton apprennent que leur fils rentrent de Corée, grièvement blessé, ils manigancent le pire des mensonges : faire croire à chacun des époux que l'autre est décédé... " ce qui est affreux, Cora, c'est d'avoir enterré deux enfants et puis de savoir, malgré tout ça, que nous pourrions encore perdre le troisième. "
On le sait depuis Un pied au paradis, Ron Rash est un orfèvre du traumatisme, du lien familial et de la société rurale. C'est un triptyque qu'il travaille avec obstination et force talent. La guerre de Corée était déjà présente, en fond, dans son premier roman. Il y a eu aussi la Première Guerre Mondiale dans Une terre d'ombre. Ou la Guerre de Sécession dans un nouvelle splendide de Plus bas dans la vallée, un dernier opus qui avait laissé les amateurs de Rash sur leur faim. Mais il se rattrape formidablement avec Une tombe pour deux, creusant la psychologie de ses personnages, pour les enfermer dans les non-dits, les mensonges, les peurs. L'idée de départ de ce nouveau roman est folle mais l'auteur sait se plonger dans cette époque qu'il pétrit depuis quelques temps et rendre tout l'ensemble crédible, réaliste. Et encore une fois, c'est sur la puissance de ses personnages qu'il se base. Jacob, avant tout, être blessé dans sa chair et son âme après ce qu'il a vécu en Corée et le coeur fracassé d'apprendre que sa femme est morte en couches. Un jeune homme qui, aux premiers jours de son retour, hait ses parents, avant semaine après semaine, de tenter de reprendre le cours de sa vie. Bien entendu, il y a Naomi, candide fille de la campagne, sans éducation mais d'une fraîcheur et d'une beauté rares, amoureuse comme ce n'est pas permis et, elle aussi, fracassée par le décès de Jacob en Corée. Mais le vrai personnage du roman, l'anti-héros par excellence, c'est évidemment Blackburn (le caretaker du titre original), gamin au visage difforme, traînant la patte, authentique Quasimodo de cet amour impossible, dont on lit la jeunesse rude avec le père qui l'emmène pour la première fois, un samedi soir, boire un soda à l'épicerie du coin. Un père qui lui apprend les rudiments de la ferme. Et un Blackburn qui, désormais, se tue le corps à creuser les tombes, à entretenir les sépultures. Un vrai coeur noble dans cette société sous pression. Ron Rash en quelques mots, quelques phrases pesées et claquantes, trace les contours de ces hommes, de ces femmes et c'est là que réside, aussi, la précision et la force de sa plume : jamais un adjectif de trop, bien au contraire. Il hérite là de sa formation à la poésie. Un peu comme Richard Krawiec justement ou Marc Villard. Cette économie donne un éclat mat à sa prose, une beauté sombre mais une beauté tout de même. Un superbe cru.

Une tombe pour deux (The caretaker, trad. Isabelle Reinharez), ed. La Noire, 300 pages, 20 euros
Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
W
Rash, Krawiec et David Joy, on est gâtés pour cette rentrée ! On est gâtés pour cette rentrée littéraire !<br /> <br /> Tes billets sont toujours aussi bons. Merci, merci, merci.
Répondre