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The killer inside me

Littérature noire

Dogrun : quand l'East village carburait à l'énergie

Pas tout le monde n'a le temps de se lire un essai sociologique de 800 pages sur les bouleversements urbains du XXe siècle. Ni même l'envie de se frapper un éditorial de 5000 signes sur la gentrification des grandes métropoles occidentales. Heureusement, il y a la littérature. Une bonne histoire, du style, des personnages qui vous collent aux paupières et l'impression de lire la disparition d'une chouette ville. C'est ainsi avec New-York dans Dogrun, d'Arthur Nersesian, roman sorti en 2000. Une chronique artistique, sentimentale, rock de l'east village de cette époque, un saut dans le temps de ce quartier devenu, comme le reste de la ville, un immense parc à touristes.
Mary a 29 ans et découvre Primo, son amant, mort, dans le fauteuil de son salon. Crise cardiaque. A peine étonnant pour ce quinquagénaire bohème qui a vécu de tous les expédients possibles. Le temps de la paperasse, la voilà avec une urne de cendres un poil gênante. Avant de répandre ses restes dans le parc voisin, elle essaye d'entrer en contact avec les anciennes copines du malheureux. Et découvre qu'il a été un peintre novateur mais aussi le père d'un enfant, le mari d'une chanteuse asiatique punk, l'auteur d'un roman porno. Mary se prend toutes ces infos de plein fouet, en essayant de restaurer sa vie sentimentale et, surtout, de payer son loyer. Et d'ailleurs, à force de chercher et de trouver des jobs horribles, elle en a tiré un recueil de nouvelles qu'elle aimerait bien faire éditer. Certes sa vie n'est pas tout à fait rose. Mais au moins, l'ennui n'y est pas.
Dogrun se lit comme une suite plus délicate, plus tendre que Fuck up. Arthur Nersesian, forcément témoin et acteur de cette époque, se glisse avec un talent fou dans les jeans et les culottes de Mary, de cafés en cafés, à travers les rencontres de mille personnages, certains extravagants d'autres plus ennuyeux (pour elle en tous les cas). Avec une forme de mélancolie aussi : " peut-être que les choses sont ainsi. Une fois que tous les gens cools qui font que la vie vaut la peine d'être vécue sont partis, la mort ne semble plus si terrible. "
Mais Dogrun est avant tout un roman sur l'énergie, de cette population et de cette ville, de ce quartier, " dans East Village, cette fontaine de jouvence souillée et mal entretenue, nul ne vieillissait avec grâce. " Nersesian saisit bien les rêves de chacun ici, à qui veut devenir écrivain ou musicienne, galeriste. Il y a tous ces cinémas à portée de main, ces bars où boire un coup sans se ruiner. Bien sûr, cela ne va pas sans une certaine crasse et dans Fuck Up, cela sautait, sinon aux narines, au moins aux yeux. C'est pour cela que Dogrun, sans être l'exact contraste, offre une image plus douce et, oui, plus mélancolique. Un bonbon pétillant.

Dogrun (trad. Charles Bonnet), ed. La croisée, 267 pages, 21, 10 €
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