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The killer inside me

Littérature noire

Les nus et les morts : odyssée des anti-héros américains

Pas simple de chroniquer un monstre littéraire étudié en long, en large et en travers depuis bientôt 80 ans et réédité ces jours-ci à la faveur d'une nouvelle traduction. Oui, on peut réaffirmer en 2024, que Les nus et les morts de Norman Mailer est un sommet, un chef d'oeuvre de 760 pages, sur la guerre, sur les Etats-Unis et sur l'Homme plus globalement. Il faut saluer donc le travail d'un éditeur français, Albin Michel, qui dépoussière un roman qui a conservé toute sa beauté.
Profitant de sa formation universitaire à Harvard et de son engagement militaire en 1944 dans le Pacifique Sud (comme patrouilleur puis cuisinier), Mailer signe, avec la fougue de ses 25 ans, un roman politique, introspectif et cruel qui, en 1948, a dû doucher quelques esprits patriotiques. Car dans Les nus et les morts, récit d'une campagne sur la petite île fictionnelle d'Anopopei, il n'y a pas de héros. Au milieu de cette troupe de 6000 hommes, commandée par le brutal général Cummings, les treize troufions de la section de reconnaissance sont un condensé de l'Amérique, un patchwork de juifs, d'Italiens, de Mexicains, d'Irlandais évidemment. Alors que l'Etat-Major demande à la section de contourner la ligne japonaise pour la prendre à revers, Mailer trace des flash backs pour conter le passé de ces prolos du rêve américain, leurs vies de soudeur, d'escroc, de mari, de fils...
Il y aurait mille façons, encore une fois de parler, des Nus et des morts. Bien entendu qu'il y a la stupidité meurtrière, l'aveuglement, la vanité d'une hiérarchie qui envoie cette section au coeur de l'enfer, crapahuter des kilomètres dans un environnement inconnu et surtout hostile. L'auteur y puise l'essence du roman et tisse là une aventure aux dimensions épiques: " le coeur de la jungle était toujours sombre, tel le ciel avant un orage d'été, et il n'y avait pas un souffle d'air. Tout était moite, abondant et torride, comme un immense amas de chiffons huileux en train de chauffer sous le toit brûlant d'un énorme hangar. La chaleur n'épargnait rien, et en contrepartie les feuillages atteignaient des dimensions prodigieuses. Dans cette touffeur, le silence n'existait pas. " N'oubliant pas le contrepoint du paradis perdu : " c'était une île sensuelle, une contrée biblique de vin rubis, de sable doré et d'arbres indigo, et les hommes ne se laissaient pas de l'admirer. " Mailer, pour ce qui est son premier texte, a déjà compris ce que serait son Amérique dans le siècle qui suivrait, une puissance brutale, colonisatrice, sanguinaire. Sanguinaire car le roman ne triche pas sur la réalité d'une opération de guerre. Aux furoncles, aux plaies provoquées par l'humidité et l'hygiène désastreuse, il ajoute la mort. Des Japonais d'abord, d'une balle ou d'un coup de lame dans la gorge. Mais des Américains aussi. Parfois par maladresse, par fatigue ou par trahison. Et en pénétrant dans la tête de ces soldats apeurés, abandonnés, les fameux "nus" du titre, Norman Mailer touche une réalité comme peu ont su l'approcher. Certes, avec 760 pages, il y a de l'espace pour disserter, analyser et fouiller l'âme corrompue d'une nation. Mais on retient surtout, à rebours du discours officiel, martial, cette peinture des anti-héros de la guerre, des hommes qui se font dessus, qui ont peur, qui veulent rentrer chez eux, qui pleurent. Et on imagine à quel point ce roman a pu bouleverser lors de sa sortie.

Les nus et les morts (The naked and the dead, trad. Clément Baude), ed. Albin Michel, 761 pages, 25, 90 €
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T
Lu et relu quand j'étais ado, parce que se trouvait sur les rayonnages d'une bibliothèque dans la chambre où je dormais quand je passais mes grandes vacances à la campagne... <br /> Je serais curieux de vérifier par moi-même ce qu'apporte la nouvelle traduction... Merci pour l'info!<br /> (s) ta d loi du cine, "squatter" chez dasola
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