Littérature noire
20 Décembre 2024
" Je n'avais plus besoin de regarder autour de moi pour savoir qui travaillait à mes côtés : les ratés, les tocards, les nullards... les désaxés, les estropiés, les allumés... ceux qui attendaient leur heure de gloire, ceux qui l'avaient eue, ceux qui l'avaient manquée. Peut-être étais-je déjà l'un d'eux sans m'en rendre compte. "
Tout ce qu'a touché les éditions 13e note s'est plus ou moins transformé en livre culte (de Kent Anderson à Jerry Stahl, Willy Vlautin, Richard Burgin, Bukowski pour un inédit). Il en est ainsi des quatre romans de Mark SaFranko, aujourd'hui réunis dans une couverture hommage, par La Croisée. Confessions d'un loser et autres romans, c'est cette Amérique qui pue la transpiration et les nuits de sexe, l'Amérique des moquettes sales, des boulots ultra merdiques et des familles instables.
Fils d'immigrés des pays de l'est, Mark SaFranko, 74 ans, est né à Trenton dans le New-Jersey. Tout comme son double, Max Zajack, que l'on suit ici à différentes période de sa vie. Avec Que Dieu bénisse l'Amérique, méchante ironie, c'est une enfance et une jeunesse un brin sauvages quand Max doit composer avec un père toujours à courir après deux boulots, une mère qui fait des ménages et une scolarité somme toute très moyenne et surtout tapageuse. Mais SaFranko a un talent énorme pour planter des décors, saisir des scènes. De l'ami de Max qui perd un oeil à cause d'un hameçon lors d'une partie de pêche. De cet ami talien qui le branche avec la cousine de sa maîtresse en se faisant passer pour un agent du FBI. Et tous ces boulots, à passer le furet dans des taudis, à distribuer le journal, à suer dans un resto, à essayer de faire le caddie sur des golfs de bourgeois... Il y a un peu tout ce que l'on cherche et ce que l'on aime dans ces vies dures mais jamais ternes, toujours illuminés par un espoir, celui d'un amour ado, d'un boulot meilleur.
Pour tout dire, il est énormément question de sexe chez SaFranko. Et c'est cash : bite, chatte, cul. Dans Confessions d'un loser, Max est devenu un jeune adulte vivant dans une tanière certes mais avec un succès sans égal auprès des femmes, surtout de la trentaine. Le lecteur suit ses pérégrinations de bars en bars, de boîtes en boîtes. Vrai mufle, sale mec, écrivain raté car fainéant, il va tomber dans son propre piège.
Dans la lignée de John Fante et Bukowski, voire d'un Arthur Nersesian, Mark SaFranko écrit un quotidien dans ce style de réalisme sale qui a fait, et fait encore, les beaux jours de la littérature US. Le fameux revers de la médaille, l'anti-rêve américain, que l'on connaît à force, mais que l'on prend plaisir, dans un geste masochiste sans doute, à redécouvrir.
Que Dieu bénisse l'Amérique, Travaux forcés, Putain d'Olivia, Confessions d'un loser (Lounge Lizard, trad. Karine Lalechère, Nadine Grassie, Guillaume Rebillon), ed. La Croisée, 732 pages, 29 €