Littérature noire
4 Janvier 2025
Il y a quarante-trois ans exactement, en janvier 1981, le tueur du Yorkshire, Peter Sutcliffe était enfin appréhendé, après quinze ans de traque et le meurtre violent de treize femmes. Dès 1999, David Peace en tire le quartet que l'on connaît, démarrant par 1974. Mais tout autant que l'actualité, c'est la lecture de J'étais Dora Suarez, de Robin Cook, sorti en 1990, qui montra le chemin littéraire pour l'auteur de Rouge ou Mort.
Alors pourquoi J'étais Dora Suarez est-il entré ainsi dans le cercle fermé des romans cultes ? Parce que, sans doute, que Cook s'y dépouille comme peu l'ont fait ou le feront. Son inspecteur, figure christique, s'approprie la douleur de la victime dans ses derniers instants mais il revit également sa vie de misère et, à la lecture du rapport du légiste, son existence de malade du sida. Et Robin Cook n'hésite pas une seconde à employer la première personne du singulier et ce je fait aussi la différence. " Savez-vous que je pleure dans mon sommeil ? " interpelle l'inspecteur au comble de ses tourments. L'obsession, dans une ville de Londres tellement grise et inhospitalière, va de pair avec un anti-héros pas vraiment aimé de sa hiérarchie, ni de ses pairs, à quelques exceptions près. Lui n'en a rien à faire, ce qui l'intéresse, c'est de rendre justice à cette pauvre fille.
Il y a donc cette formidable identification de l'inspecteur-auteur à la victime, et en ce sens le titre, parfait, dit tout, mais il y a également le tueur, Tony Spavento (frayeur pour rappel). Là, Robin Cook a poussé le curseur assez loin et la légende dit que l'éditeur des trois premiers tomes de cette série de la Factory a rendu son déjeuner en lisant le manuscrit ! Parce qu'il y a là sévices, cruauté, psychopathie et un soupçon de voyeurisme. Cela dès les premières pages avec le double meurtre de Dora Suarez et sa logeuse. Mais c'est ce qui accroche le lecteur. La scène scotche, dérange carrément. On ne reviendra en compagnie de ce maniaque que plus tard dans le roman par le biais de son observation, de loin, et ce sera tout aussi perturbant.
J'étais Dora Suarez bénéficie évidemment d'une construction parfaite, pas forcément über originale, mais d'une limpidité apaisante dans ce maelstrom d'horreurs : indices matériels, pistes chez les mafieux, coup de fil des journalistes.
Dans la veine des très grands polars tendance thriller, on pense à Seven, au Silence des agneaux et donc au quartet enfiévré de Peace. Du très haut niveau. Parfaitement rendu par le travail d'orfèvre de Jean-Paul Gratias.
J'étais Dora Suarez (I Was Dora Suarez, trad. Jean-Paul Gratias), ed. Rivages, 264 pages, 8, 40 €