Littérature noire
2 Décembre 2024
Aucun amateur de romans noirs ne peut se pencher sur un livre traitant de la question amérindienne sans penser à Tony Hillerman. Il ne s'agit pas de dire qu'il a été le seul à planter son décor dans une tribu, celle des najavos, mais ses romans ont marqué toute une génération. Parce qu'au delà de la qualité littéraire, il y avait toute cette culture que Joe Leaphorn et Jim Chee savaient faire infuser. Et pauvres blancs-becs que nous sommes, on voyait bien, avec un sale pincement au coeur, finir un monde. C'est donc assez logiquement que La disparue de la réserve Blackfeet s'impose aux fans de polars. D'abord pour le sujet mais aussi parce que cette collection est devenue un must read.
Pourtant cela commence assez banalement serait-on tenté de dire avec, en juin, Ashley, une énième jeune fille de 20 ans qui ne réapparaît pas. Ce principe a été usé jusqu'à la corde. Sauf qu'ici, c'est bien le principe de cette collection, nous sommes dans la réalité. Pire : au coeur de cette réserve du Montana, à la frontière canadienne, les femmes et les filles amérindiennes comptent peu. Dans un quotidien fait de pauvreté, de came, d'alcools et d'une violence héritée depuis plusieurs générations, on n'éduque pas sa progéniture en lui disant "si tu te fais violer " mais " quand tu te feras violer ". Et il ne faut pas compter sur les autorités et ce mille feuilles entre police tribale, FBI, bureau des affaires indiennes pour initier des recherches voire une enquête : " si les bénévoles avaient tué un grizzly pour se défendre, je me demande si l'enquête sur la mort de l'ours n'aurait pas été plus rigoureuse que celle sur la disparition d'Ashley. Cela soulève une question fondamentale : en tant que Nation, comment évalue-ton une vie humaine ? "
La reporter Anaïs Renevier réalise un travail de fourmi auprès de la famille d'Ashley mais également auprès de toutes les mères, les soeurs, les cousines qui vont peu à peu se mobiliser, après ce tragique événement, pour réclamer justice. Un mouvement de contestation décuplé par les réseaux sociaux, par un blogueur puis par des prises de positions politiques au Sénat. Avec, sur le terrain, chaque fois, des espoirs déçus, des fausses pistes, des mensonges. La journaliste suit avec une grande pudeur la soeur Kimberly qui met son mariage et même son emploi entre parenthèses pour retrouver sa benjamine. La mère, aussi, Loxie Loring, qui démontre un courage phénoménal.
La disparue de la réserve Blackfeet est une nouvelle fois l'occasion de toucher du doigt ce qui demeure l'un des plus grands génocides de l'époque contemporaine.
La disparue de la réserve Blackfeet, ed. Society 10/18, 234 pages, 8 euros