Littérature noire
23 Décembre 2024
1992, Rivages sort Le peuple des ténèbres de Tony Hillerman (1925-2008), la première aventure de Jim Chee, jeune fonctionnaire de la police tribale, en route pour devenir chanteur de son peuple. Pour info, La Série Noire avait publié le roman dix ans plus tôt sous le titre Le peuple de l'ombre. Curieusement c'est le seul titre que Gallimard traduira. François Guérif choisira lui de tout éditer, faisant découvrir au lecteur tricolore un auteur d'une étonnante finesse tout comme un univers navajo riche, complexe. Pas loin d'être une révélation, il faut avouer. Et un écrivain culte au final.
Il y a deux ans, Rivages ressortait la trilogie Jim Chee, la même que celle dans sa tranche rouge, mais cette fois, sans doute pour le trentième anniversaire, avec une couv différente et surtout une couverture qui se déplie et offre une carte de ces fameux Four corners, du Nouveau-Mexique, à l'Utah, soit le grand pays Navajo, avec des pastilles pour identifier chaque lieu de chaque roman. Un gadget ? Un peu mais aussi une belle façon de visualiser les réserves Hopis, Zuni, Acoma et les villes de Crowpoint, Grants, là où se déroulent justement Le peuple des ténèbres.
Jim Chee est appelé par Rosemary Vines pour le vol du coffre de son mari qui a fait fortune dans l'exploitation de la mine d'uranium toute proche. Dans le coffre, il y aurait juste des souvenirs, des babioles rien d'important. Sauf pour le couple. Mais rétropédalage rapide : le mari rappelle Chee et lui dit de ne plus s'en occuper, que c'est un malentendu. Sauf que le jeune policier a déjà remonté une piste, qui mène à un clan, le Peuple des ténèbres, adepte de la défonce au Peyot et carburant aux hallucinations. L'une d'entre elles, il y a trente ans avait prédit l'explosion d'un forage de pétrole causant une dizaine de morts. Parmi les membres de ce curieux clan, il y a la famille Charley dont les hommes sont tous atteints d'un cancer foudroyant.
C'est un bonheur de redécouvrir la prose d'Hillerman, cette façon de conjuguer avec sensibilité les croyances du peuple navajo, les principes de vie, la recherche de la beauté et les contradictions du monde des blancs. L'auteur est pédagogue sans être didactique, son personnage, attaché à sa culture, se montre parfois déchiré mais se rassure in fine avec la mythologie navajo dans des passages sublimes de poésie : " il n'y avait pas encore de Navajos. Rien que le Peuple Sacré. Premier Homme, Première Femme, Dieu-qui-Parle, Monstre de Gila, Scarabée du Maïs, tous les différents personnages yei. La nuit, le ciel était noir et vide à l'exception de la lune. Alors Premier Homme décida d'accrocher les étoiles. Et il disposa les Garçons Silex Bleu (du doigt Chee désigna Céphée), l'Ours, le Dieu-qui-Chasse, et tous les autres. A ce moment-là, Coyote arrive et il s'empare de la couverture dans laquelle Premier Homme a mis les étoiles qui attendent d'être accrochées, et il s'en empare, projetant toutes celles qui restent dans un ample mouvement. C'est ce qui a donné la Voie lactée. "
A l'heure où la littérature noire tourne un peu vinaigre avec une débauche de thrillers pas forcément géniaux, avec aussi énormément de polars urbains, relire Tony Hillerman c'est plutôt un bol d'oxygène, un peu de spiritualité, une dose de cette culture amérindienne qui n'en finit plus de crever.
Le Peuple des Ténèbres, trilogie Jim Chee avec Le Vent Sombre, La Voie du Fantôme (People of darkness, trad. Danièle et Pierre Bondil), ed. Rivages, 776 pages, 27 €