Littérature noire
9 Décembre 2024
Eddie joue du piano au Hut, un bar de nuit de Philadelphie. Ancien virtuose de la musique classique, passé par une période de succès, d'amour et de dépression, il s'astreint désormais à une vie sans folie, sans excès. Quand on lui parle, il sourit rêveusement, il répond avec un calme olympien, ne se mêle de rien. Une sorte de cousin américain de Meursault. Alors lorsque son frère Turley surgit dans son bar, le visage abîmé, lui avouant être poursuivi par deux malfrats, le brave Eddie voit son indifférence vaciller. Et d'un geste va plonger dans une embrouille, avec un enlèvement en voiture, une serveuse qui veut le protéger, un videur qui le balance, un magot et des coups de mitraillettes Thompson. Tout cela dans le froid et sous la neige de Pennsylvanie.
Classique de chez classique, Tirez sur le pianiste (Down there, c'était tout de même plus explicite en VO) possède forcément son charme vintage, clopes au bec, au volant des Buick, des Packard, et les incontournables chambres chez une logeuse. On parle encore ici de "tord-boyau", de "flingue", comme un coup de rétro dans le vocabulaire et ce, malgré une nouvelle traduction dépoussiérante.
La force de ce roman réside toutefois dans ce Eddie Webster Lynn, personnage qui ressemble fort à un anti-héros goodisien, le gars qui est emporté dans une histoire qu'il n'a pas cherchée, dans laquelle il entre à reculons (Calvin Jander, dans La pêche aux avaros). Ici, la scène, assez étalée certes, de l'enlèvement en voiture, de la dispute entre les deux voyous, est aussi prenante que drôle. Et question rythme justement, il y a une certaine touche années 50 qui tient aussi à Eddie, avec de longs moments de silence, des instants qui s'étirent, comme aussi, cette bagarre sans fin dans le Hut.
Atypique, comme l'oeuvre de Goodis, ce Tirez sur le pianiste fait partie des meubles de l'histoire du roman noir.
Tirez sur le pianiste (Down there, trad. Romain Guillou, préface de Benoît Tadié), ed. La Série Noire, 256 pages, 14 €