Littérature noire
30 Janvier 2025
Chaque lecteur de plus de quarante ans a une relation spéciale avec Bret Easton Ellis. Un compagnonnage souvent démarré sur les bancs d'une fac quand l'oeuvre de l'Américain représentait tellement une forme de rebellion et d'énergie.
Avec Bret Easton Ellis, le privilège de la subversion, Adrien Durand passe au scanner une oeuvre de quatre décennies et sept romans. Sans surprise, la carrière de l'écrivain se confond avec sa vie personnelle et nul n'ignore à quel point ses deux premiers romans, Moins que zéro et Les lois de l'attraction étaient des récits de sa propre jeunesse, riche et déglinguée. L'auteur de l'essai emmène le lecteur dans l'intimité d'Ellis, son amitié avec Dona Tartt dans une université de Nouvelle-Angleterre dédiée aux arts et puis le choc d'American Gigolo : " le film ressemble à un cahier des charges des premiers romans de Bret Easton Ellis ". Surtout, ce nouvel opus de cette belle collection de Playlist Society met vraiment le doigt, insiste, sur le tournant d'American Psycho, roman provocateur, à succès, mais qui mettra Ellis dans une situation très inconfortable, taxé de misogyne, éreinté par une partie de la presse qui y lit une violence gratuite. Ce n'est pas un hasard d'ailleurs si il faudra huit années avant le roman suivant, Glamorama, qui ne rentrera pas au Panthéon de la littérature US.
Adrien Durand suit ainsi une trajectoire qui s'annonçait brillante, qui se révèle, pour le moins décevante, mais qui, paradoxalement, a eu une importance énorme dans le monde artistique, voire dans la société.
L'essai est intéressant parce qu'il met noir sur blanc, en quelque sorte, la fabrique d'un phénomène, d'un "produit". Bret Easton Ellis, c'est finalement plus l'incarnation d'une bourgeoisie enfarinée à la coke, témoin d'une époque d'excès, que la preuve d'un immense talent littéraire inoubliable. Quitte à se répéter, c'est cette façon qu'il a eue de se mettre en scène, sans filtre, avec sans doute un vrai sens de la provoc, qui a fait le sel de cette carrière. On retiendra aussi, dans ce Privilège de la subversion, le triste râteau que l'auteur s'est mangé à Hollywood...
Bret Easton Ellis, le privilège de la subversion, ed. Playlist Society, 130 pages, 17 €