Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
The killer inside me

Littérature noire

Bristol : l'homme qui tombe à pic

Robert Bristol n'est pas un tocard. Il essaye juste de gagner sa vie, plutôt assez bien jusque là, en faisant des films. Et ce n'est pas une mince affaire. Ce jour-là, il doit tenter de convaincre une actrice de premier plan de jouer dans son prochain long-métrage puis filer à Nevers rencontrer l'autrice du best-seller qu'il va adapter, pour lui soumettre la dernière version des dialogues. Alors quand il sort de son immeuble rue des eaux, dans le 16e arrondissement de Paris, il ne prête pas attention à l'homme qui se défenestre du cinquième étage.
Jean Echenoz est de retour et c'est l'une des (rares) bonnes nouvelles de ce mois de janvier. Parce que nul n'écrit comme lui, c'est un fait. Parce que sa prose, ironique et tendre, est tout aussi solide que légère. On a assez dit que l'auteur des Grandes blondes écrivait comme on fait du cinéma et ce n'est pas par hasard qu'il choisit ce personnage de Bristol : pour pouvoir s'en donner à coeur joie dans la description, dans les travellings, les plans. A l'image de cette scène dans le train : " tout cela défile par la vitre qui tient aussi lieu de miroir : le visage reflété de Bristol se superpose au paysage et, selon que son oeil s'accommode en actionnant le muscle de Müller ou le muscle de Brücke, il peut regarde à volonté son fantôme pellucide ou cet environnement. "
Le talent d'Echenoz, c'est bien d'enchanter avec une histoire de trois fois rien. Et comme disait Devos, trois fois rien c'est déjà quelque chose. Tiens, comme le regretté humoriste belge, il a ce goût de la langue et du vocabulaire. Il faudrait plusieurs lignes pour relever les mots que l'auteur s'amuse à distiller. Pas à toutes les pages non, mais suffisamment pour que le lecteur tapote sur le google de son téléphone ou, s'il est plus classique, plonge dans son dictionnaire : " les proboscidiens... les infrutescences... apprivoiser un potamochère..." C'est drôle, jamais pompeux. Avec toujours cette façon d'interpeller le lecteur, dans le style " Jacky Pasternac serait assez facile à décrire mais on n'en a pas tellement envie. "
Jean Echenoz c'est tout, sauf l'ennui. Bristol se lit avec la vraie gourmandise, il se relit même quand on tente de se souvenir d'une belle tournure, d'une description amusante. L'auteur navigue toujours entre Magritte (encore un Belge) et Bertrand Blier, un style incomparable et une forme épurée, sans artifices.

Bristol, Les éditions de Minuit, 206 pages, 19 €
Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article