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The killer inside me

Littérature noire

Ceux que la nuit choisit : roman d'une jeunesse désabusée

Roman générationnel ou pas ? Roman noir ? Ce qui est certain, c'est que Ceux que la nuit choisit, de Joris Giovannetti, est un premier roman ambitieux et réussi.
Ambitieux parce qu'il propose une vision de la Corse, et au-delà, à travers le prisme philosophique de Nietzsche, apprécié semble-t-il de l'auteur qui en fait son "ouvreur" pour chacun de ses chapitres. Attention, il ne s'agit pas d'une dissertation, d'un devoir, mais bien d'une mise en perspective et d'une façon aussi d'analyser notre monde foutraque à travers de grands concepts. Ce n'est pas la peine d'étudier des textes pendant des siècles, à travers le globe, si on n'est pas capable de les transposer dans la réalité ! Certes, Joris Giovannetti, jeune enseignant de philosophie, abuse parfois de formules et les amateurs d'écriture sèche, à l'os, seront décontenancés. Mais c'est aussi le propre des premiers romans, de déballer tout ce que l'on a sur le coeur, d'hurler en quelque sorte, que ce soit son amour ou, ici, une forme de désarroi.
Voici donc l'histoire de deux frères corses, Gabriel et Raphaël Cristini, étudiants à la faculté de Corte. Tandis que Gabriel est soudain foudroyé par des crises de panique incontrôlables qui le clouent dans sa maison de village, Raphaël, mène ses études et une activité de leader syndicaliste étudiant. Au détour d'un trajet en train, il rencontre Lelia, jeune fille d'origine marocaine des quartiers populaires de Bastia dont il tombe amoureux. Pendant ce temps, Batti, l'ami d'enfance des frères Cristini, patron du seul bar du village, poursuit sa vie de fêtard, grande gueule sympathique qui ne crache pas sur un rail de coke, fourni... par le frère de Lelia. Tout l'inverse de Vincent, étudiant nationaliste, qui plaque la fac de Corte, pour le lycée agricole et la reprise de l'exploitation de son oncle. Enfin, il y a Cécilia, jeune ajaccienne victime d'un vol lors d'une soirée et qui sombre dans l'anorexie. Chacun des personnages va, à sa manière, expérimenter la douloureuse entrée dans le monde adulte, les trahisons, les déceptions, les questionnements existentiels, parfois provoqués par le racisme, la violence, la bêtise...
On peut lire Ceux que la nuit choisit d'un oeil insulaire et souligner à quel point Joris Giovannetti, très bien placé pour évoquer la question, se montre lucide, critique mais aussi tendre, bienveillant, avec ses semblables. Il parvient, à l'instar d'un Jérôme Ferrari qui a eu une influence dans son travail, voire sa vie, à évoquer la question de la mafia immobilière dans l'île, de l'épidémie de stupéfiants, tout en élargissant sa vision à l'ensemble du corps de la jeunesse, déchirée entre valeurs humaines et diktat de l'argent, du paraître. L'auteur peint une société qui finit de s'écrouler, entre les mensonges d'un passé idéalisé et le refus d'une modernité, laissant toute la place aux pires penchants de l'homme. Il est donc question de destin, de morale et le roman de Joris Giovannetti résiste au pensum philosophique grâce à une narration tenue, un calendrier précis et des personnages forts.

Ceux que la nuit choisit, ed. Denoël, 480 pages, 23 €
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