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The killer inside me

Littérature noire

Théorie de la disparition : que restera-t-il de notre passage ?

Séverine Chevalier possède, au moins, deux caractéristiques : elle aime raconter l'histoire des relégués, ces hommes, ces femmes, souvent ces enfants, que l'on croise sans y faire attention Et justement, elle, elle y porte de l'attention, pour tisser un scénario incroyable, extraire l'extraordinaire de l'ordinaire. Vous direz que c'est un peu le principe de la noble littérature de ne pas parler que des héros. Mais la seconde caractéristique de cette autrice insaisissable, c'est heureusement son style. Séverine Chevalier s'affranchit des normes pour écrire comme elle le ressent, pétrissant la ponctuation pour lui donner la juste tonalité, raclant le superflu des adjectifs, des adverbes, ajustant la syntaxe à son idée, son émotion. Parce qu'il est question d'émotions avec Séverine Chevalier, toujours.
Même si ce dernier roman, Théorie de la disparition rompt avec l'univers de l'enfance qu'elle abordait précédemment. Cette fois, la reléguée, c'est Mylène, une femme d'âge mûr, épouse d'un écrivain, sinon célèbre, au moins bien côté. Mylène est intendante, gouvernante, cuisinière, toujours présente, toujours disponible, toujours discrète : " je souscrivais à cette répartition officieuse : en haut les gens qui écrivent et qui parlent et qui pensent, dessous les besogneuses et les muettes dont j'étais. " Bien entendu, Mylène porte ses cicatrices à l'intérieur, une histoire familiale brutale chez son père. Un matin de résidence d'écrivain, près d'une centrale nucléaire, elle décide de s'éclipser.
L'autrice de Clouer l'ouest nous parle ici du statut de la femme dans une relation artistique, elle évoque aussi le milieu littéraire, avec quelques flèches bien senties, mais avant tout traite de nos névroses, de notre bagage psychologique, de ce que l'on transporte dans nos âmes et de ce qu'il restera de nous. Avec l'économie de moyens qui fait son oeuvre, et une utilisation implacable de la première personne, Séverine Chevalier parvient à immiscer le lecteur dans le cerveau et surtout le coeur de Mylène : " comment lui expliquer qu'à partir du moment où je vois presque tout cassé, hors de fonctionnement, il m'est reposant de commercer avec ce qui est en bout de course, que ça me fait l'effet doux de m'adjoindre, moi qui ne cesse, comme quiconque et depuis que je suis née, de me détériorer, de m'accoupler aux restes du monde, dans une communion secrète, avec le principe même du temps ? "
On va peut-être ici se répéter mais Séverine Chevalier bâtit une oeuvre d'une sensibilité incroyable avec une profondeur assez vertigineuse. Dans Théorie de la disparition, elle touche à une sorte de sens de la vie en moins de 200 pages, une réflexion sur le parcours amoureux, sur notre place dans une société ou un environnement. Jamais bavarde inutilement, cette prose enchante et interroge. La classe en somme.

Théorie de la disparition, ed. La Manufacture de livres, 167 pages, 14, 90 €
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