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The killer inside me

Littérature noire

L'ombre portée : gin sec au comptoir avec Schneider

Ah Claude Schneider. S'il y a bien un flic qui cumule les clichés  ! Ancien para en Algérie, Ray Ban aviator, blouson militaire, gin sec au comptoir, sourire aussi rare que le soleil dans cette région de l'Est, réparties au compte-goutte, sens de la Justice. Et pour ne rien gâcher (vieux) beau gosse façon Delon. Oui mais ça passe quand on vit dans la France de Giscard. Et ça passe quand c'est Hugues Pagan qui prend les rênes.
L'ombre portée poursuit le chemin détrempé et puant la clope du Carré des indigents mais aborde cette fois les sectes, leur influence, leur infiltration de la bonne société. Le lecteur retrouve donc avec un vrai plaisir toute l'équipe, si bien dessinée, de Schneider : les Courapied, Dumont, Catala, Trotski, Dagmar, la serveuse des Abattoirs... Tout démarre avec l'incendie criminel d'un vieux hangar dans lequel trois sans domicile fixe trouvent la mort. Puis il y a ce gourou et sa femme, manipulateurs vicieux, responsables d'une escroquerie morale mais surtout financière.
Pour tout dire, l'intrigue de ce nouvel épisode de Schneider n'est pas la plus excitante de son oeuvre. On préfèrera lorsque Pagan fouille dans les culs de basse fosse, quand il met son nez dans la misère, la crasse. Mais Pagan reste Pagan et c'est un délice de lire la petite mécanique de cette brigade criminelle, les rapports à la hiérarchie, les discussions autour des cafés, la vie intime des uns et des autres. Là, l'auteur est très fort et créé réellement son atmosphère. Puis, il y a la voix. Pagan se régale à balancer des expressions, non pas désuètes, mais au contraire pleines de charme vintage : " il avait croché dans la viande ", " il a quand même pris le temps de me claquer un môme ", " il fut tenter de rhabiller l'enfant...". Déjà, ne serait-ce que pour cela, pour la vivacité de ce patrimoine, le roman se déguste.
Et par-dessus, il y a quelques trouvailles de Schneider, des petits instants de bonne littérature : " toutes deux avaient une même apparence cubique, une densité sourde et compacte. Le malheur, quand il est encore frais, procure de ces effets. " Une chimie des mots que l'on retrouve dans les dialogues : " - Est-ce que vous avez une femme dans votre vie ? - Oui, dit Schneider. J'ai une femme dans ma vie. J'espère même qu'un jour je la rencontrerai. " Bon sang, c'est pas dans le thriller d'aujourd'hui qu'on trouverait une telle richesse, cette musique, ce verbe !
Depuis 2017 et Profil perdu, Pagan a repris la plume et c'est tant mieux.

Profil perdu, ed. Rivages, 427 pages, 22 €
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