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The killer inside me

Littérature noire

Les saules : de la boue sur les chemins et dans les âmes

Rarement un premier roman noir s'était montré aussi convaincant. Joliment tendu, rugueux, avec de vrais instants suspendus, dans une vision sans romantisme du monde rural. Mathilde Beaussault réussit avec Les saules à faire sentir l'odeur de la ferme, celle du bar où l'on fume encore, l'ambiance angoissante d'une audition. Il y a tout : un rythme, des personnages sculptés dans la boue des champs, un village explosif et, forcément, une intrigue.
Pour cette dernière, pas de révolution formelle : au mitan des années 80 (Madonna + R5), dans une petite commune de Bretagne, Marie, une jeune fille de 17 ans est retrouvée assassinée dans un coude de la rivière. Ici, l'intro de l'autrice est maligne juste ce qu'il faut, offrant quelques images furtives de la victime, de son bourreau. Ce qu'il faut pour mettre en lumière l'odieux crime. Et puis très vite arrive Marguerite, enfant de huit ans à peu près, authentique fille d'un couple de paysans qui survit des produits de la ferme. Marguerite, c'est une tige à l'hygiène erratique, les cheveux sales et emmêlés, qui ne parle quasiment pas. Et à l'école, elle paye cher sa différence, moquée, harcelée dirait-on aujourd'hui. De la tendresse, elle n'en reçoit pas de ses parents mais de sa tante Jeanine, aux rares visites. De la protection, elle en a eu, deux fois, justement par Marie, la victime, plus âgée. Bref, Marguerite, un peu comme un personnage de Séverine Chevalier, va observer le monde des "grands" s'agiter autour du crime : André, l'officier de gendarmerie catastrophé, Gilles, le père de Marie, pharmacien détesté dans le village, et puis Julien, pompier volontaire de 20 ans, Damien, ex-amoureux de Marie... toute une communauté qui va devoir s'expliquer, donner des alibis. Assez vite, il apparaît que Marie aimait les garçons. De quoi, dans ces villages, lui faire une vilaine réputation.
A la lecture, fièvreuse, des Saules, on pense à La nuit du 12, que ce soit pour la multiplicité des témoins entendus, pour l'enquête de personnalité ou pour le personnage de gendarme. Mais l'autrice s'efforce, avec brio, de coller à la ferme des Rocher, celle de Marguerite, contant les repas silencieux, la télé abrutissante, le père bourru et cette mère empruntée qui ne sait pas montrer l'affection, " qui évite toujours les yeux des humains plonge dans ceux de sa fille. Elle lui sourit, gauchement, presque tristement. On dirait qu'elle a oublié comme on sourit et qui lui manquera le reste de sa vie pour l'apprendre. " Avec une scène de bain absolument incroyable. C'est dans cette vie rustique, difficile, taiseuse que le roman puise toute son énergie et son réalisme.
L'autre belle idée de Mathilde Beaussault, ce sont les auditions à la gendarmerie, rendues comme des monologues de témoins, pour mieux rendre compte des expressions, du langage de chacun, pour donner, bien entendu, de la chair à ce moment capital des enquêtes. Et pour aussi prouver que c'est un monde de peu de mots la campagne, on ne dit pas tout, et surtout on n'avoue rien.
Les saules se termine, pas de spolier, sur une scène qui n'était pas gagnée d'avance mais là encore, maîtrisée, efficace, poisseuse. Du rural noir en AOP.

Les saules, ed. Seuil Cadre noir, 271 pages, 19, 90 €
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