Littérature noire
13 Mars 2025
En droite ligne de sa novella La petite Gauloise (2018) mais surtout dans une forme de suite, quatorze ans plus tard, au Bloc (2011), Jérôme Leroy trace ce qui pourrait paraître une fin avec La petite fasciste. L'auteur n'aime rien moins qu'imaginer le pire en politique, encore que ce dernier opus ayant été écrit bien avant l'arrivée de Trump, il est quelque part en dessous de la réalité. Mais pour le coup, lui, ne traite que de l'hexagone et, comme pour Les derniers jours d'un fauve, dans un futur qui se situe entre six mois et deux ans. On n'est pas non plus chez Philip K. Dick !
Cette fois, le Dingue, surnom du Président de la République, annonce, en pleine canicule, une troisième dissolution de l'Assemblée. Dans le Nord, à Frise, près de Lille, Patrick Bonneval, socialiste bien implanté, à la soixantaine désabusé, va devoir retourner devant les électeurs. Lors de la dernière échéance il avait battu le candidat du Bloc patriotique, parti d'extrême-droite d'à peine 125 voix. Le Bloc bénéficie d'un ancrage solide dans la région, à travers entre autres les Lions de Flandres, groupuscule identitaire au sein duquel Francesca Cromelynk, étudiante en khâgne, milite et fait le coup de poing sans déplaisir. Francesca frappée ces dernières années par deux deuils douloureux, celui de son amour d'adolescence, Jugurtha, retrouvé mort dans un dune. Et celui de son frère Nils, tué lors d'un échange armes contre drogues, entre les Lions et la mafia marocaine hollandaise. Ce soir-là, après quelques bières, elle se fait accompagner par le Chef pour de la castagne lors d'un match de foot. Patrick Bonneval, de son côté, est informé qu'un autre candidat de gauche sera présent au premier tour et refuse de se retirer.
La mécanique de Jérôme Leroy est désormais bien huilée et sans trop de surprises. Une grosse dose de politique, des moments de tensions énormes pour des élections et des histoires de sexe, voire d'amours (le Combattant avec la petite Gauloise précédemment). Le tout saupoudré de tabassages et de flingages. Avec ce soin tout particulier que l'auteur distille dans ses premières scènes. Il y avait du sexe pour Le bloc et Les derniers jours des fauves, cette fois comme pour La petite Gauloise, une bonne giclée de cervelle éclatée exige des lecteurs de garder les yeux ouverts. On doit reconnaître que ces moments balnéo-contractuels sont parfaitement chorégraphiés, dotés d'une conclusion qui ne gâche rien. Peut-être flotte-t-il même un parfum de Jean Echenoz dans cette description objective des victimes, avec leurs patronymes presque risibles et leur brèves existences mouchées par le plomb.
Sinon, Jérôme Leroy tricote cette presque anticipation avec une foultitude de feux clignotants pour la démocratie, d'un pouvoir qui vacille, à des groupuscules de droite radicale qui attaquent des camps de roms, en passant par une gauche fatiguée et déchirée, des alliances sans convictions... le quotidien français depuis plusieurs mois en somme. Mais condensé en quelques jours et 190 pages. Décidé à ne pas laisser le lecteur poser son roman et se boire un litre de javel, Leroy offre donc une romance plutôt inouïe, comme pour dire que l'amour, ben, c'est tout ce qui reste. Un romantique.
La petite fasciste, ed. La Manufacture de livres, 190 pages, 12, 90 €