Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
The killer inside me

Littérature noire

Ellroy à propos de sa foi, de ses livres de chevet et du jazz

James Ellroy porte ses 76 ans avec une certaine énergie, dans une démarche toujours léonine, sûre. Lors de la récente édition de Quais du Polar, à Lyon, l'homme a aligné les sessions de dédicaces matin et après-midi, debout, pendant 90 minutes. Enchaînant par des rencontres pleines à craquer, une première fois avec des étudiants de littérature anglaise à Lyon III puis avec Romain Guibert, journaliste du Point.

Le show Ellroy demeure bien rôdé mais, derrière l'image de l'amuseur-provocateur, il sait avant tout ce qu'il doit au public français. Et à son ami éditeur, François Guérif à qui il avait promis de revenir le plus vite possible : " je lui dois beaucoup. Et j'ai une loyauté naturelle pour lui. J'aurais pu partir de Rivages puisqu'il n'y est plus, j'avais des propositions mais je suis resté... C'est un rapport très particulier que j'ai avec la France et ses lecteurs. Ce sont les meilleurs lecteurs de mon oeuvre, ils voient parfaitement le sous-texte, sans doute parce que vous êtes un peuple qui lit énormément. Chez vous je vends quatre fois plus de livres que chez moi. On vous a donné Dashiell Hammett... et moi !  Mais je lui passe devant, Hammett a cette faiblesse marxiste ! "

" La religion est un voyage depuis les ténèbres "

L'auteur du Dahlia Noir aime parler, aime séduire mais il aime aussi évoquer son travail, son oeuvre comme il dit, comme ils sont de plus en plus nombreux à dire. Et Les enchanteurs, retour à une forme de simplicité après le labyrinthe de La tempête qui vient, tient une place particulière : " quand Marylin Monroe meurt le 4 août 1962, c'est un samedi soir et j'ai appris la nouvelle à la radio. J'avais tout juste 14 ans, j'allais au collège et je gagnais aussi ma vie comme livreur de journaux, je livrais notamment l'Examiner en vélo. On ne travaillait pas le dimanche et je me souviens très bien que le lundi matin, les gens étaient sur le porche de leurs maisons, debout, à attendre le journal pour lire les dernières infos sur la mort de Marilyn. Et ça ils ne le faisaient jamais. Si j'ai appelé le roman The Enchanters, qui est de la pure ironie, c'est parce que lorsque j'étais ado la plupart des romans de gare qui me tombaient entre les mains, que ce soit des pulps ou des trucs pornos, commençaient par The... je voulais faire une sorte d'hommage. "

La Californien, désormais installé à Denver par amour, a commencé un nouveau quintet sous les bombes de Pearl Harbour avec Perfidia (2015) mais, il le dit tranquillement, l'époque de la Seconde Guerre Mondiale l'a un peu vite ennuyé, pour ne pas dire embrouillé. Il avait envie de retrouver les coulisses du pouvoir, du sexe, de la corruption, notamment avec le personnage de Freddy Otash (1922-1992), ex flic, ex privé, vétéran des forces US, journaliste à scandales. Qu'il a vraiment rencontré, fréquenté : " c'était réellement un sac à merde ! Complètement corrompu. Attention j'écris de la fiction, il faut savoir qu'il y a une part de vrai et d'autres choses que j'invente. Mais oui, je l'ai connu. On s'était bien engueulé un jour parce qu'au détour d'une conversation je lui demande s'il est musulman. Ma foi, c'est légitime vu qu'il était Libanais. Il m'a traité de tout les noms pour finir par me dire " je suis Chrétien comme toi ! ". Pas vraiment je lui ai répondu. "

Et voilà que le Dog du polar, le plus provocateur des auteurs du circuit, grand écrivain de la Rédemption il est vrai, confie sa foi : " ma mère m'emmenait au temple. Ou bien j'y allais seul. C'était à côté de chez nous dans le West Hollywood. Je suis Luthérien et un vrai dévot en fait, cela me soutient. C'est plutôt présent dans Les enchanteurs et ça le sera encore davantage dans mon roman à venir. Je vis ma religion et je vous conseille la pièce de John Osborne (1929-1994), Luther, c'est fantastique... cette difficulté que j'ai à accepter le péché chez les hommes politiques vient peut-être aussi de ma foi. La religion, pour moi, c'est un voyage depuis les ténèbres, vers la lumière."

Ses trois livres de chevet

Pour amadouer James Ellroy, entrer dans ses grâces, il y a un secret : le café. Quand il était venu à Bastia en mai 2015, devant un théâtre comble, il avait réclamé sa dose de double expresso avant de monter sur scène... même si c'était davantage l'heure de l'apéro que d'un arabica colombien ! Alors quand il s'agit de le croiser le matin, le café est plus que de rigueur. Et s'il y a deux croissants, l'homme est quasiment amour. Et se met à développer son approche de la littérature : " c'est Flannery O'Connor qui disait qu'une littérature qui ne peut pas être lue par tout le monde ne peut pas survivre. Plus jeune j'ai testé du Fitzgerald, du Hemingway, du Saul Bellow mais je les ai balancés, ce n'était pas ce que je voulais lire. Les romans sociaux, finalement je n'ai jamais vraiment accroché. Parce que je cherchais du polar US, de la littérature populaire et j'ai l'ambition d'être le plus grand écrivain populaire. Longtemps je me suis gavé de romans, de films et j'ai été une véritable éponge, je me suis construit une image assez dingue du monde, au départ je n'avais pas tellement de recul. "

Voilà, on prend Ellroy pour un inculte, un brigand et il dévoile toute une théorie sur le roman, une explication sur sa propre éclosion. Qui n'est pas sans lien aussi avec la musique. Prononcez juste Symphonie Fantastique et il raconte sa passion pour Berlioz. Pour Beethoven, ça tout le monde ou presque, le savait. Pour le compositeur tricolore, un peu moins. Et il en autant pour Brahms. Sa passion première reste le jazz. Pas qu'il ait grandi avec mais, dans sa jeunesse, les clubs de LA, à côté de chez lui, fourmillaient de vedettes. S'il était trop jeune pour voir son musicien favori, Charlie Parker, sur scène, il a eu le bonheur d'aller écouter Dizzy Gillespie en live. Nourri à Louis Armstrong, Duke Ellington, il est de cette génération qui considère le rock comme un braquage marketing, au-delà d'une musique simpliste...

Un premier croissant à peine terminé et il rebondit sur le livre, la littérature. A l'université Lyon III, les étudiants lui avaient réclamé les trois livres qu'il recommanderait devant tous les autres. Jamais désarçonné, il propose ses propres romans dans un rire tonitruant. Puis, plus sérieux, répond : " je pense en premier à Compulsion de Meyer Levin (Crime en français). L'histoire de ces deux jeunes qui commettent un meurtre, c'est du très haut-niveau. Après il y a Libra de Don De Lillo. Je n'aime pas tout chez lui mais celui-ci, sur Lee Harvey Oswald reste son meilleur. Après il y a le True confessions de John Gregory Dunne, qui aborde indirectement l'affaire du Dahlia Noir, c'est un sacré bouquin... pour tout dire, je ne fais que relire les polars que j'ai lu plus jeune. Je suis plus ou moins resté bloqué au début des années 70. Un peu comme pour le cinéma (lire ci-contre). Je ne suis pas de ce monde vraiment, je ne vais jamais sur internet, je ne regarde pas les infos et quand j'allume la télé, c'est pour des documentaires criminels ou de la boxe. "

" Les flics m'ont remis sur le droit chemin "

Re-belote, James Ellroy plus que jamais scribe populaire et fantasque de l'après-guerre américaine, jusqu'aux années 70, se remémore George Foreman, poids lourd légendaire, puncheur XXL, disparu en mars : " Cet homme avait une force inimaginable. Vous vous rendez compte qu'il est parvenu à avoir deux carrières de champion ! C'est unique, du jamais vu. Je me souviens de cette image, quand il s'entraînait au début des années 90 avant le combat contre Holyfield, en tirant une voiture, une Toyota ! George Foreman était impressionnant. "

Auteur souvent caricaturé comme un réactionnaire, un Républicain buté, le Dog est, sans surprise, un homme d'une grande culture. Oui, on lui reproche souvent un sale caractère et ce goût pour les policiers au mieux corrompus, au pire pourris. " J'aime surtout les flics qui tombent dans les bras de femmes fortes ! Et je n'ai pas peur de dire que j'aime les flics du Los Angeles Police Department, certains font même partie de mes rares amis. C'est sans doute aussi parce que ce sont eux qui m'ont remis sur le droit chemin quand je partais en vrille, ce sont eux qui m'ont les coups de pied au c... au bon moment de ma vie. "

Durant ce nouveau périple tricolore, James Ellroy a livré toutes les facettes de sa personnalité. Et a toutefois exigé une seule chose de ses lecteurs : que l'on ne lui parle de la politique américaine. Le signe clair que ce monde moderne n'est vraiment pas le sien.

Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article