Littérature noire
15 Avril 2025
Depuis 2012 et son premier roman chez Joelle Losfeld, Mektoub, Denis Soula met un point d'honneur à soigner son fond et sa forme. Me tenir droite, nouvel et cinquième opus après quatre ans d'attente, ne déroge pas à cette hygiène littéraire, véritable shoot d'émotions et de style épuré mais sensible comme jamais.
Bien entendu, il y a une femme. Bien entendu, elle n'a pas de prénom. C'est la mère. Mère meurtrière. Issue d'un milieu difficile, diplômée en serrurerie, elle a longtemps versé dans le fric-frac de province avant de se ranger et de trouver un mari aimant, rassurant, de lui donner deux enfants. Il a fallu d'un moment d'égarement, quand elle retombe sur son ancien amant loubard, pour perdre la tête et perdre le contrôle de sa voiture. Bilan : son fils le plus âgé mort dans l'accident. Direction, la prison pour une poignée d'années et à la sortie, le mari lui a depuis longtemps tourné le dos. Alors, elle se fait embaucher dans le café à quelques rues de son ancien domicile, histoire de voir ou d'apercevoir le fils qui lui reste. Elle le croise. Il vient au café.
Le lecteur retrouve avec une satisfaction non dissimulée, cette capacité chez Soula à écrire les sentiments dans une prose d'une délicatesse inouïe. C'est comme de prendre votre coeur et de l'effeuiller doucement, c'est sans douleur ou presque mais l'air de rien ça vous hydrate les yeux.
Soula a déjà évoqué les amours entre un homme, une femme, entre deux femmes, là c'est bien celui d'une mère pour le fils qui lui reste, le fils dont elle a raté une part d'enfance. Et dont elle se gave maintenant, par petites touches. " Je veux surtout le regarder, observer ses gestes, entendre sa voix et ressentir son enthousiasme qui me remplit d'un hélium parfumé de déodorant. Je pense alors, tiens ça fait longtemps que je ne me suis pas sentie aussi bien. "
L'auteur pose l'identité de la mère et celle de la femme, de ses désirs, idée que Denis Soula caresse depuis ses débuts. Ici donc, la mère est face à ce vieil amour, symbole d'une ancienne vie chaotique et d'une certaine ivresse. Il n'y a pas de jugement.
Une fois de plus, Me tenir droite touche juste, avec finesse et avec la brièveté, 139 pages, qui caractérise les écrits de cet auteur. C'est peu et à la fois tellement.
Me tenir droite, ed. Joelle Losfeld, 139 pages, 18, 50 €