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The killer inside me

Littérature noire

" Mon personnage est fatigué... comme je le suis "

Prénommée d’après le soulèvement de la prison du même nom en 1971 à New-York, Attica Locke était le week-end dernier à Lyon pour Quais du polar, histoire de parler bien entendu de son dernier roman, Il est long le chemin du retour. Histoire aussi de prendre un brin de distance avec ces Etats-Unis qui lui pèsent énormément. Texane, vivant dans l'industrie cinématographie à Los Angeles, depuis treize ans, elle a confié, dans diverses tables rondes (dont l'une brillante avec Duane Swierczynski, Douglas Preston et Marc Levy), son pessimisme, et même son effroi, peinant à imaginer les différentes façons de résister. Ses grands sourires spontanés devant ses lecteurs n'ont d'égale que sa conscience d'un monde qui se délite.

Il est long le chemin du retour est sans doute votre roman le plus politique, le plus engagé ? Vous en aviez besoin ?

Oui. Pleasantville (2017, La Série Noire) l’était déjà, d’une autre façon. C’est vrai que ce dernier est le plus politique de ma trilogie Darren Mathews et j’avais très peur que les lecteurs s’en détournent parce que ce n’est pas le sujet de la trilogie, la politique. Pour mon personnage il y a toute une poignée d’années qui sont passées depuis la précédente histoire (Au paradis, je demeure, 2022, Liana Levi), il y a eu le Covid, mais aussi le meurtre de George Floyd, donc Darren, qui est un homme qui se pose des questions sur son rôle dans la société, sa place, ne pouvait que se confronter à la dimension politique. Il est fatigué. Comme je le suis. Je me suis retrouvée dans une sorte d’état catatonique… paralysée… parce que ce qui est arrivé chez nous est si énorme, si rapide. Vous savez, c’est calculé tout ça parce que comme citoyen, vous passez votre temps à essayer d’économiser un peu d’argent, d’avoir votre couverture médicale et c’est difficile de réfléchir à la politique quand vous devez vous concentrer sur les factures. C’est un combat quotidien.

Il y a sept ans, lors de la première mandature Trump vous déclariez en interview, «  c’est le pire moment de l’histoire américaine, après la période de l’esclavage ». Et maintenant alors ?

Oh mon Dieu. Et ça ne fait qu’empirer. J’adorerais revenir sept ans en arrière !

Pour revenir à la politique américaine qui vous tient à cœur, qu’est ce qui n’a pas fonctionné avec la candidate démocrate Kamala Harris ?

Cela a commencé avec Jo Biden. C’est un homme très intelligent, très capable mais malheureusement nous vivons dans une nation où l’image compte. Il avait l’air si fatigué, il ne pouvait pas sortir et hélas, les médias se sont attardés là-dessus, sans se demander si Trump n’était pas aussi âgé que Biden. Et puis je pense qu’il y a eu de la triche, bien sûr les votes ont été importants pour Trump c’est une évidence, et c’est mon opinion attention, il s’est passé quelque chose notamment en Pennsylvanie, c’était assez clair dans le message qu’il faisait passer lors de ses meetings. C’est quelqu’un qui disait carrément « je vais devenir un dictateur » !... C’est triste mais combien de métisses, de noirs, de latinos se sont dit «  je ne vais pas voter pour une métisse comme Kamala Harris » et combien de femmes se sont aussi dit « je ne vais pas voter pour une femme » ? Je ne comprends pas. Mais encore une fois, les médias n’ont pas vraiment chercher à saisir les enjeux, à soulever les problèmes. Pour dire la vérité, je n’ai vraiment pas de réponse parce que je ne comprends pas moi non plus. Vous savez aux Etats-Unis le Washington Post appartient à Jeff Bezos, les chaînes du câble sont dans les malins de milliardaires et ils cherchent avant tout le profit. Il n’y a pas d’enquêtes, c’est beaucoup de buzz.

Pour revenir à vos romans, vous évoquez une partie plutôt peu médiatisée des USA, l’Est du Texas, là où vous avez grandi. Cela a une influence sur votre écriture ?

J’ai grandi à Houston en fait. Mais toute ma famille, des deux côtés, sont issus d’une toute petite ville le long de la highway 59, je viens donc de paysans, et enfant, j’ai toujours pris cette autoroute pour rendre visite à toute la famille, j’y ai passé des jours, des semaines, des mois. C’est dans mon sang. J’ai eu des parents aimants. Ils furent des activistes mais cela n’apparaissait pas vraiment à la maison. Ils ont tout fait pour masquer la douleur de leurs luttes, de ces amis qu’ils perdaient. J’ai mis du temps à réaliser leur engagement. Mon père par exemple était super engagé dans le panafricanisme, pour la décolonisation. Ils avaient ces grandes idées, de liberté, pour changer l’Amérique, élever leurs enfants normalement… et ils ont vu que l’Amérique ne changerait pas vraiment. De là aussi est né mon premier roman.

Est-ce que vous-même, vous vous considèreriez comme une activiste ?

Non. Aussi parce que je pense que mes parents ont fait plus que je ferais jamais. Ils étaient dans la rue ! C’est sûr que j’ai une voix qui porte plus, j’ai comme un mégaphone à travers mes séries ou mes livres.

Dans ce dernier roman il y a des personnages noirs très précis, la mère de Darren Mathews qui est devenue femme de ménage, le père de la fille disparue qui accepte tout de son employeur… fiction et réalité ?

Je sais qu’il y a des noirs qui aiment Trump et je voulais essayer de pénétrer leur psychologie. Cela concerne avant tout les hommes noirs et cette fierté masculine de se dire que l’on n’a pas besoin que l’on nous tende la main, pas besoin de se sentir noir mais d’être juste reconnus et c’est ce que les Républicains sont parvenus à répandre comme idée. On l’a vu dans les meetings de Trump avec des gens qui s’approchaient des noirs en leur disant « on est trop contents de vous voir, bienvenus », les Républicains pouvaient se dire « on n’est pas racistes vous êtes là » et les noirs, eux, se persuadaient d’être aimés, de faire partie de ce pays. C’est une manipulation bizarre que je souhaitais approcher. Sans faire de caricature mais en essayant de s’interroger sur cette étrange séduction.

Dans la communauté noire que vous racontez depuis votre premier roman, il y a des tensions, rien n’est idyllique et les oncles de Darren sont des gens qui ont réussi et séparent leur neveu de sa mère, traitée comme une moins que rien.

Juste après la fin de l’esclavage, et je sais que je suis privilégiée, la famille de ma mère a obtenu des terres à travers le Homestead act, quand vous vous engagiez à faire quelque chose de cette terre. Du côté de mon père, ils ont négocié directement avec les propriétaires d’esclaves. C’était des avantages, j’en suis bien consciente. Attention cela restait très dur, il n’y avait pas beaucoup d’argent mais ils avaient ces terrains et ils gardaient l’argent pour eux. Et c’est ce qui a envoyé une partie des oncles, tantes dans les études. Cela ne m’a pas empêché d’observer, de voir ceux qui ne pouvaient pas s’en sortir comme nous dans notre région.

Et en bonne Texane, le blues est encore très présent, avec Solomon Burke, Gary Clark Jr.

Oui, je suis une grande fan. Je fais ma playlist personnelle pendant l’écriture de chaque roman… Je voudrais que chaque lecteur soit transporté dans l’Est du Texas à chacun de mes romans, à travers la nourriture, la musique, les arbres, les odeurs. La musique tient une grande place dans ma vie.

Comment arrivez-vous à organiser un agenda entre les séries produites (From the scratch avec Zoé Saldana), scénarisées (Empire), les romans ?

Je vais continuer d’écrire, j’ai une idée, essayer quelque chose de nouveau, mais il faut d’abord payer les factures et on ne vit pas de ses romans ! Les Etats-Unis, c’est cher et les enfants à l’université ce sont plusieurs dizaines de milliers de dollars à l’année. Heureusement il y a Hollywood et Universal m’a demandé d’adapter Darren en série, on croise les doigts. Je voudrais bien ne faire que des romans mais c’est un système qui nécessite de travailler beaucoup plus. Le bon côté des choses est que je travaille pour la télévision avec ma sœur, on a les mêmes goûts, on se comprend, je pense aux intrigues, elle réfléchit aux personnages, on se complète. Faire ça toute seule, je détesterais mais c’est fun avec ma sœur.

Comment nourrissez-vous cet appétit d’écriture ?

Je lis beaucoup, tout le temps. Je fais partie du jury du National book award avec cinq autre personnes. Après, comme d’autres, quand il m’arrive des choses un peu étranges, j’y réfléchis. Même lorsqu’il ne m’arrive rien de spécial, mon esprit s’enclenche, je me demande plein de trucs.

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