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The killer inside me

Littérature noire

La cinquième femme : incroyable enquête dans le Budapest de 56

Le coup de poussière que fait La Série Noire en ce moment ! D'accord il y a les grands américains, les McCoy, les Goodis, du Joseph Bialot. Mais avec Maria Fagyas et sa Cinquième femme, la collection fait mieux que de remettre en lumière un classique : elle offre un roman paru il y a quarante ans et dont il est resté, il faut l'avouer, bien peu de traces. L'autrice (1905-1985) a connu une vie dans les lettres, à travers la littérature, le théâtre, en compagnie de son mari avec lequel elle quitte Berlin pour les Etats-Unis à la fin des années 30. C'est en 1963 qu'elle écrit La cinquième femme, roman policier que n'aurait pas dénigré Simenon ou, plus proche, Philip Kerr, tant il y a du Bernie Gunther dans le personnage principal. Mais davantage qu'une filiation, ce qui prend le lecteur aux tripes, c'est l'émotion que met l'autrice pour parler de sa ville, Budapest, lors de l'insurrection de 1956 contre les Soviétiques. Maria Fagyas ne distille pas seulement une mélancolie, elle parle de ce peuple rebelle et travailleur, de ces femmes rompues aux drames et, avec une certaine lucidité, de ces hommes prêts au pire pour rester dans les petits papiers du pouvoir communiste.
En pleine insurrection, l'inspecteur Nemetz passe, en fin de journée, devant les corps de quatre femmes, mortes, sans doute touchées par l'un des nombreux obus que tirent les chars russes dans la ville. Quelques minutes plus tard, une cinquième femme se trouve là, alignée avec les autres : celle-là même qui, quelques heures, avant lui avait dit que son mari médecin allait la tuer ! Le temps d'une audition rapide de l'époux, le cadavre a disparu.
Maria Fagyas parvient à tisser une ambiance historique impressionnante, entre espoirs, drames, pénuries, sans faire appel à la grosse cavalerie des scènes de barricades ou de fusillades, juste avec le regard désabusé de Nemetz, boussole improbable d'une justice en plein chaos. La cinquième femme, c'est aussi toute l'ambiguïté des humains dans une situation extrême : rester ? Se battre ? Se sacrifier ? Sentir le vent tourner ?
Dans une préface parfaite, Marie-Caroline Aubert explique que cette nouvelle traduction, de l'anglais, est cette fois complète, sans les fameuses coupes psychologiques. Inutile de dire que le roman gagne en épaisseur des personnages, en intensité. On retient notamment une scène déchirante entre l'inspecteur et une ancienne notable devenue concierge, redescendue au bas de l'échelle, sans que ni l'un ni l'autre, par pudeur, n'évoquent le passé...

La cinquième femme (The fifth woman, trad. Jane Fillion, révisée par Marie-Caroline Aubert), ed. La série Noire, 320 pages, 14 €.
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