Littérature noire
2 Juin 2025
Anaïs Renevier, 37 ans (diplômée en journalisme reporter d'images... et en fleuriste !) a inauguré il y a deux ans la formidable collection de true crime des éditions 10/18 en collaboration avec Society. Spécialiste des Etats-Unis, elle s'était penchée sur le cas Alice Crimmins, une affaire vieille de 60 ans, à New-York. En octobre, elle écrivait cette fois sur le Montana et ses réserves amérindiennes, avec La disparue de la réserve Blackfeet. Il y a quinze jours, elle participait à Libri Mondi broie du noir, à Luri.
Comment en vient-on à faire le premier numéro d'une collection avec une affaire qui a fait couler autant d'encre ?
C'est une commande de l'éditrice. Et quelqu'un chez Society venait d'interroger James Ellroy qui parlait d'un livre sur le sujet, qu'il considérait comme un livre de référence. J'ai réalisé bien entendu un énorme travail d'archives en premier lieu. Parce qu'avec une affaire qui date d'il y a 65 ans de nombreux protagonistes sont décédés. Ou en ont assez parlé. Je suis parti sur place un mois et j'ai pu aller aux archives municipales de New-York qui conservent les pièces à conviction des procès les plus importants. Et au final, j'ai pu rencontre un journaliste qui avait interviewé Alice Crimmins, mais aussi le médecin légiste, l'avocat. J'ai bien tenté de parler avec Alice Crimmins, elle-même, en Floride mais elle n'a pas montré le bout de son nez. Pour ce qui est de la narration, 10/18 nous demande de chapitrer et de finir chaque chapitre sur un cliffhanger.
A vous lire, Alice Crimmins a été condamnée parce que c'était une femme jugée trop libre aux yeux de la Justice. N'êtes-vous pas dans le parti pris ?
Non. Le fait qu'elle ait été condamnée pour son mode de vie, c'est clair. J'ai une intime conviction mais je la garde pour moi. De toute façon, elle a eu un procès à charge, mené par un boys club de policiers parce qu'elle représentait plein de choses qu'ils détestaient. C'était du harcèlement ! Et ils ne se sont même pas donnés la peine de faire une réelle enquête sur le père. Peut-être que c'est un parti pris mais je voulais aussi parler d'une époque, parce que je savais que je n'apporterai pas de réponse.
Et le livre va être traduit et publié aux USA, chose relativement rare.
C'est incroyable. Attention, toute la collection va l'être. Mais l'éditrice m'a avoué qu'elle trouvait ça fou. J'ai commencé à lire les commentaires d'Américains pour savoir comment ils prenaient cette annonce et en fait, ils sont curieux de voir le regard d'une Française sur les faits, 60 ans après. En juin, je suis invitée à Toronto pour en discuter dans un débat.
La disparue de la réserve Blackfeet est d'une autre nature. On se rend compte en le lisant que les amérindiennes sont encore plus discriminées que les femmes afro-américaines. Le projet était complexe ?
Je travaille depuis plusieurs années sur les marges aux Etats-Unis. Et j'ai entendu parler, quand j'étais en Californie, de cette crise, de ces disparitions de femmes dans les tribus. C'était mon point de départ. J'en ai parlé à l'éditrice qui était ravie mais qui m'a dit qu'ils avaient déjà une enquête qui se déroule en Californie (L'affaire du Golden State Killer par William Thorp) et le principe, c'est un état, un livre. Donc j'ai fouillé un peu le sujet et vu qu'au Montana également les disparitions étaient très importantes. Nous sommes allées au Montana. Et, oui, statistiquement, c'est la minorité la plus discriminée alors qu'elle ne représente que 3% de la population. Aujourd'hui, des femmes mènent des actions publiquement mais elles me l'ont dit, la différence avec le mouvement Black Lives matter, c'est que les afro-américains sont fiers et vocaux, et " nous, les amérindiens, nous sommes seulement fiers, on n'a pas l'habitude parler, de revendiquer, nous sommes moins visibles". Hormis, Lily Gladstone, l'actrice de Scorsese dans Killers of the flower moon, elles sont rares celles qui prennent la parole. Ce sujet m'a pris aux tripes. Quand le livre sera traduit, je l'enverrai aux familles de victimes avec l'espoir un peu fou que cela fasse bouger les lignes.
Vous avez été correspondante à Beyrouth de 2012 à 2015, comment analysez-vous la situation actuelle ?
J'y vais encore deux fois par an. Pas plus tard qu'il y a quinze jours et également en octobre dernier. Ces derniers jours, je peux vous affirmer qu'Israël ne respectait pas le cessez-le-feu. Tout le monde est persuadé que les bombardements vont reprendre et d'ailleurs ils n'essayent pas de reconstruire le sud Liban. Si le pays est stable politiquement aujourd'hui, la fameuse résilience libanaise en a pris un sacré coup, parce que depuis plusieurs mois c'est crise sur crise.
Sur un ton plus léger, vous avez enquêté sur la pizza à l'ananas ! Qui est le coupable ?
Oui un jour j'étais à Hawaï et dans les pizzerias il n'y avait absolument pas d'ananas sur leurs pizze. Cela m'a amusé de chercher l'origine de cette drôle de recette. Il semble que dans les années 90, les Etats-Unis ont fait face à une surproduction d'ananas. Ils ont des centaines de tonnes de conserves avec, apparemment, cette recette sur les boîtes. Et ce serait un restaurateur au Canada, dans l'Ontario,
photo@Melanie Metz