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The killer inside me

Littérature noire

Le syndrome du cordonnier : Rutès toujours aussi fin

Des romans sur les auteurs, sur la difficulté d'écrire, sur leur vie tout sauf trépidante, il ne faut pas se mentir, il en a été écrit des boisseaux. Et pas toujours inoubliables. Lorsqu'arrive Le syndrome du cordonnier, de Sébastien Rutès, il y a donc un moment d'incertitudes et même de crainte d'être déçu par, d'abord, un auteur que, jusque-là, on apprécie vraiment, et, ensuite, par un homme tout à fait fréquentable. Puis, c'est sans doute une question de confiance, on ouvre le livre. Et ce n'est pas du tout ce que l'on imaginait.
Augustin Cami a écrit Reprendre ses droits il y a cinq ans et le succès a été fulgurant. Ecrivain engagé en faveur de l'environnement, il est vite devenu une sorte de coqueluche des débats télévisés, obtenant même une émission de voyages, tout comme une certaine aura auprès du public. Lui se défend d'être un mondain, ne cherche pas à influencer quiconque malgré une addiction aux réseaux sociaux sur lesquels il donne quotidiennement son avis. Dans le privé, il est divorcé, vit des aventures sporadiques avec des fans et une histoire plus solide avec Fanny, femme réellement travaillant dans le social. Sa fille, lycéenne, complice et lucide, est son élément de stabilité. Surtout après qu'il a été convoqué au commissariat pour incitation à la violence via quelques vieilles lignes sur Instagram. La situation commence à s'envenimer, à lui échapper. D'autant qu'un parti politique, de gauche, demande l'aide (et l'influence) d'Augustin pour une circonscription. Un rendez-vous filmé clandestinement et diffusé sur les réseaux.
Le syndrome du cordonnier, c'est celui qui se pense capable de donner son avis sur tout, y compris et surtout hors de son domaine de compétence. Que l'on connait aussi comme l'effet, très étudié, Dunning-Kruger. Et il est tellement vrai qu'aujourd'hui un romancier, une romancière est invité(e) à se prononcer sur à peu près tout et souvent n'importe quoi. On prend pour exemple, ces malheureux écrivains américains auxquels on demande des comptes pour chaque actions, tweets, conférences de presse de Donald Trump. Pour avoir fait un roman, vous devriez en savoir des choses sur le monde, la société. Et voilà que cela pète à la gueule d'Augustin Cami.
Avec son air de ne pas y toucher, Sébastien Rutès, un peu comme Luc Chomarat, offre un roman réellement passionnant, intelligent et très drôle. On retient les références détournées aux années 80 (de Renaud à Pacman ou Thierry Rolland),les clins d'oeil à la profession mais aussi des dialogues fous avec un python. Qui est, en fait, un anaconda. Et puis il y a ce jardinier échappé d'une vidéo de l'INA, celui qui dit à tout bout de champs " Noël, je m'en fous... Pâques, je m'en fous... ". Idée géniale de lui redonner vie ici, dans une galerie de personnages tellement réussie.
Sans prétention, mais en disant bien des vérités, l'auteur de l'inoubliable Mitclàn prend le temps de remettre l'église au centre du village et l'écrivain devant sa table de travail plutôt que devant les caméras ou son téléphone. Avec, comme de coutume chez Rutès, quelques formules joliment troussés : " il  passait tellement de temps à exprimer ses convictions qu'il ne trouvait plus celui de s'en forger ", " il avait un énorme visage plat,, le nez cassé, un crâne rasé, plein de nids-de-poule et une paupière fermée pour travaux. Il ressemblait au quartier ", " tu sais pourquoi tout le monde te cire les pompes ? Parce que tu es une pub grandeur nature pour cette société de merde ".
Pas du tout polar mais très politique, au sens de la vie de la cité, Le syndrome du cordonnier propose une réflexion amusée, mais pas désabusée, sur la condition d'auteur, ses dérives. Et ce sont les pages les plus sincères écrites sur ce métier.

Le syndrome du cordonnier, ed. La Noire, 288 pages, 20 €
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