Littérature noire
3 Juillet 2025
En voilà de la fresque historique ! 524 pages de batailles à l'automne 1864, durant la Guerre de Sécession, du coté de la vallée de la Shenandoah, en Virginie occidentale. Dans la vallée de l'ombre de la mort exhale les parfums métalliques du sang, ceux de la poudre, de la terre retournée, des uniformes plus lavés depuis des semaines... Kirk Mitchell offre une vision réaliste, précise aussi, de la guerre, sans se départir de moments de contemplation quand un regard fatigué se pose tout de même sur les Blue Ridge au petit matin.
Simon Wolfe est colonel, directeur du service de santé du général Sheridan. Fait marquant, il a perdu son bras droit deux ans plus tôt, lors d'une bataille dans le Maryland. Né dans le Sud, où son père a rejoint l'état-major confédéré, ce jeune chirurgien a étudié à Boston et épousé la cause abolitionniste du président Lincoln. C'est d'ailleurs ce dernier qui met la pression, à l'approche des nouvelles élections présidentielles, pour remporter la bataille décisive de la Shenandoah. Et Sheridan compte bien le satisfaire. Il est l'inventeur de la politique de la terre brûlée : pour éviter que les sudistes trouvent de la nourriture, il incendie les fermes, les champs... la vallée est bientôt un immense tas de cendres. Et Simon Wolfe découvre au milieu des braises, le corps d'une civile allemande atrocement poignardée. Elle fait partie de ces dunkers, paysans rattachés à un pan rigoriste du protestantisme, refusant de prendre les armes pour l'un ou l'autre des camps. Aux côtés de la victime, le docteur Wolfe sauve Rebekka, une jeune femme, splendide, hébétée, son bébé dans les bras. Elle semble sous le choc des scènes qui se sont déroulées sous ses yeux. Charmé certes, mais surtout intrigué, le colonel l'embarque avec lui, avant quelques jours plus tard de découvrir un nouveau meurtre dans des conditions quasi identiques. Il commence à avoir des soupçons sur un officier de la police militaire. Puis sur le général Custer. Mais qui se soucie de quelques civiles allemandes quand des milliers de jeunes hommes tombent sous les balles Minié, ces munitions nouvelles qui fracassent tous les os d'un corps ? Et puis Sheridan, conformément aux voeux de son président, ne souhaite pas un scandale pareil à quelques mois de l'élection. Simon Wolfe, homme pétri d'interrogations, se transforme en détective. Et se met une cible dans le dos.
Dans l'ombre de la vallée de la mort est une pure merveille de littérature. Documentée évidemment, terriblement rythmée, c'est un autre de ces grands romans sur la guerre, la manipulation des hommes, la vacuité de ces vies sacrifiées, le désastre engendré. Le lecteur plonge dans l'herbe pour éviter les tirs d'infanterie, chevauche dans les rivières, les collines, subit les affres de la faim... Kirk Mitchell a le talent nécessaire pour faire vivre cette folle campagne, qui fut l'une des dernières grandes batailles de ce conflit. Et puis il a l'intelligence de montrer les sudistes au même titre que les nordistes, comme les humains fragiles et dingues qu'ils étaient sans doute. Avec peut-être une dose de schizophrénie davantage portée sur les officiers de l'union. Tout cela, sous le couvert d'une série de meurtres, d'une enquête improbable et impossible. Il faut avoir le coeur parfois accroché pour parcourir ces hôpitaux de campagne où l'on pratique les amputations comme aujourd'hui on pratiquerait une appendicite, mais l'auteur a choisi d'être sincère, sans fard. Grand roman.
Dans la vallée de l'ombre de la mort (Shadow on the valley, trad. Daniel Lemoine), ed. Folio, 524 pages, 10 €