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The killer inside me

Littérature noire

Le témoin solitaire : Brooklyn et ses petites existences

William Boyle est un Giannini de Brooklyn. En ce sens, où il a passé les deux premières décennies de sa vie au milieu de la communauté italienne, entre son quartier de Gravesend, ceux de Bensonhurst, Bay Ridge. Une vie riche d'histoires qu'il raconte désormais.
Avec Le témoin solitaire, troisième roman, le jeune auteur reprend des personnages de Gravesend, paru il y a deux ans. Le lecteur retrouve ainsi la fameuse Alessandra Biagini, partie à dix huit ans tenter une carrière d'actrice à Hollywood, mais c'est d'Amy Falconetti dont il est surtout question ici. Elle qui n'était qu'un faire-valoir dans le premier roman tient ici le rôle principal. Et pour cause : débarrassé des excès de sa vie de barmaid, elle mène une existence au service des autres, et même si elle reste une lesbienne au coeur brisé, Amy fréquente St Mary, l'église de son quartier, vient en aide aux personnes âgées, bref se rend utile. C'est d'ailleurs chez madame Epifanio, à qui elle vient donner la communion, qu'elle apprend qu'un certain Eugene, fils de l'aide ménagère habituelle, remplace sa mère mais se montre brutal, insolent, et fouille même dans la chambre de madame Epifanio. Fille discrète mais curieuse, Amy garde un oeil sur cet Eugene et sa drôle d'attitude. Un jour où elle le suit, il est poignardé par l'homme qui l'accompagne, en plein Brooklyn, en plein jour. Amy est seule, sur le trottoir d'en face, à être témoin de la scène. Elle est incapable d'appeler les secours. Elle ramasse tout de même le couteau abandonné. Déboussolée, elle doit maintenant aussi affronter le retour de son père après toute une vie d'absence. Et aussi celui d'Alessandra, de passage à New-York pour un casting...
Il y a le nature writing et puis il y a l'urban writing dont William Boyle fait sans aucun doute partie. Il balade son lecteur de rue en rue et celui-ci retrouve d'ailleurs avec un certain amusement les enseignes du premier roman, Gravesend, que ce soit le diner Roulette, ou les pompes funèbres Capelli's. Plus noir que le précédent, Tout est brisé, mais moins polar que Gravesend, Le témoin solitaire témoigne une fois de plus du talent incroyable de Boyle pour peindre ses semblables, Amy bien sûr mais aussi le père, Fred, et le propriétaire M. Pezzolanti, Diane, la mère éplorée, Monsignor Ricciardi. Tous ses personnages dégagent une espèce de douce mélancolie, membres d'une société qui s'effrite doucement, mais qui veut résister. Alors il y a forcément la religion qui unit cette communauté mais on pressent bien que ce n'est plus pour très longtemps. Cet univers, loin du centre-ville bobo de New-York, manque de rêve, de grandeur, de perspectives. Comme le dit Alessandra : " on va sur nos quarante ans et on n'a pas de baraque, pas d'argent. On n'a même plus de famille. Tout ce qu'on a, c'est un gigantesque cimetière d'occasions ratées derrière nous. "
Dans un très bel exergue, William Boyle explique cette indéfinissable attirance qu'il a toujours pour Brooklyn. Plus même que l'attirance, il s'agit d'amour puisque c'est là que lui, maintenant installé dans le Mississippi, retrouve sa mère et sa grand-mère. C'est là aussi qu'il se remémore les histoires que lui contait son grand-père. Sans doute que l'on ne criera pas au génie en finissant Le témoin solitaire mais il y a une sensibilité rare et, surtout, William Boyle, en seulement trois livres construit une vraie oeuvre autour de ce quartier mythique.

Le témoin solitaire (trad. Simon Baril), ed. Gallmeister, 291 pages, 22, 40 euros.
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