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The killer inside me

Littérature noire

Jim Thompson explose l'Oedipe et les codes raciaux dans Rage Noire (11)

Jim Thompson explose l'Oedipe et les codes raciaux dans Rage Noire (11)

" Tous les autres soi-disant fils de pute de toutes races, y compris la mienne, ne sont que de médiocres faux-semblants. Leur fils-de-putasserie est intéressée, ce qui est une autre manière de dire qu'elle peut-être excusable, ou explicable . " En 1972, Jim Thompson à 66 ans, une vingtaine de romans derrière lui, mais toujours une forme éclatante pour pondre Rage Noire. Plus judicieusement et explicitement baptisé Child of rage dans sa version originale. Le titre français insiste sur l'aspect racial du personnage principal mais le roman, qui n'est pas noir mais social, n'a rien à voir avec le mouvement des droits civiques de l'époque. Allen Smith est un gamin de 18 ans, métis, dont la mère n'est rien d'autre qu'une poule de luxe. Et cette situation oedipienne le met vraiment en furie. Contre toute la société... Quand Big Jim plonge les mains dans le cambouis du melting pot, il ne fait pas du politiquement correct.

Allen est un gamin surdoué. Pas que pour les études, qu'il méprise malgré des capacités hallucinantes. Il est aussi très malin pour amadouer les différents cercles sociaux qui l'entourent. D'abord la secrétaire du proviseur de son nouveau lycée. Mais aussi Liz et Steve, soeur et frère black, enfants d'un docteur qui veut s'élever dans la société et a conseillé à ses enfants de ne fréquenter que la crème de ce quartier de New-York (pour une fois que Thompson situe son action dans la Grosse Pomme, ça vaut le coup). Strate de la société par strate de la société, Allen Smith va dézinguer tout le monde : Liz et Steven d'abord, avec leur relation incestueuse qu'il va sournoisement révéler au père (en prime une scène de rasage de pubis assez hilarante); puis le père de la petite secrétaire qui se rapproche de lui comme le géniteur qu'il n'a pas connu; la bande de pseudo loubards du lycée... rien ne trouve grâce à son tempérament de vipère. Il manipule, entre amour et haine, comme il se sent manipulé par cette mère qui l'abandonne avant de l'inviter à faire un câlin dans son lit.

Quelle mère ! Encore une fois, ce roman est pour de multiplies raisons particulier dans l'univers de Thompson, renvoyant à Freud, à l'Oedipe, là où ses romans de jeunesse renvoyait plutôt au père. Allen Smith ne rêve ainsi ni plus ni moins que de sauter sa mère. Toutes les autres filles le laissent impuissant, pas sa mère, cette femme aguicheuse, call girl de luxe, pour ne pas dire prostituée de haute volée.

Rage Noire est vraiment une bombe, un roman à contre courant, on imagine, de ce qui pouvait s'écrire au début de ces années 70, chères en hippie et slogan Peace and Love à toutes les sauces... Noirs, métis, blancs sont dépeints avec les mêmes étroitesses d'esprit, les mêmes petits arrangements que ce soit pour le sexe, l'argent ou la réputation. Antisocial, vulgaire parfois, salement porno éventuellement, drôle aussi, ce roman est en fait une très fine provocation. Jim Thompson est grand et son oeuvre, inépuisable.

" Un hurlement féroce est tombé du toit de l'immeuble voisin. Suivi par un tronçon de la corniche, qui s'est écrasé en giclant sur le trottoir, nous faisant bondir en arrière. Puis par deux corps nus. Les corps atterrirent sur un auvent du rez-de-chaussée. Un homme et une femme, l'un dans l'autre, verrouillés en plein coït. L'auvent tint le coup une bonne seconde puis craqua et ils s'écrasèrent, eux aussi, sur le trottoir. Et continuèrent à limer. "

Rage Noire, Jim Thompson, édition Rivages, 217 pages, 8 euros.
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