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The killer inside me

Littérature noire

Yan Lespoux : " ne pas être là où on m'attend, ça m'arrange "

Sorti à la fin août, Pour mourir, le monde continue une très belle carrière quasiment trois mois plus tard. Le mérite de cette longévité tient avant tout à la qualité du texte, bien relayé par une presse enthousiaste (Libé, Le Figaro...). Cela tient aussi au travail acharné d'un éditeur. Enfin, c'est aussi parce que Yan Lespoux est un mec cool avant d'être un super auteur. Rencontre avec un ami.

Comment le récit historique d'un naufrage qui a eu lieu il y a bientôt 400 ans devient un roman d'aventures en 2023 ?

C'est parti d'un travail que je réalisais avant de venir à l'université de Corte pour un colloque sur les ethnotypes. Je lis un texte qui évoque une dune dans le Médoc, une dune que je connais bien, et qui parle d'un naufrage en 1627, avec plus de 2000 morts, le plus important naufrage de la marine portugaise. J'étais intrigué naturellement par cette histoire. Je me suis procuré un livre, aux éditions Chandeigne, qui en parlait avec précision et de fil en aiguille je me suis passionné pour cette aventure. Je venais de rendre Presqu'Îles à mon éditeur, je lui ai dit que j'avais peut-être une idée pour la suite et il m'a dit fonce !

Mais un roman historique c'est toujours casse-gueule, il y a des lecteurs qui cherchent la petite erreur, l'anachronisme. Comment avez-vous travaillé cet aspect ?

Je viens d'avoir le prix Bravo Zulu, qui est remis par les officiers de réserve de la marine, et à la réception on m'a dit que l'un de leurs membres qui était un vrai pinailleur n'avait finalement rien trouvé à redire dans Pour mourir, le monde. J'avoue que ça m'a soulagé parce que c'était une vraie galère. Le vocabulaire marin est déjà complexe. Celui de la marine à voile tout particulièrement et alors, la voile portugaise au 16e siècle ! J'ai trouvé des livres en portugais. Et puis un autre sur la navigation du 14e au 18e siècles.... en anglais. Donc il fallait que je me débrouille avec tout ça et que je le traduise en français.

Dans le développement de votre roman, qu'est-ce qui vous pousse à choisir non pas un personnage principal, ni deux, mais trois ?

Cela s'est imposé avec simplicité. Il y avait d'abord toute l'histoire à Goa et ce vol de diamants, donc il me fallait un voleur. Mais il y avait aussi le naufrage dans le Médoc, donc j'avais besoin de quelqu'un là-bas. Ensuite, il y a toute cette flotte qui part de Bahia et ça aussi, c'est une histoire d'une grande richesse, passionnante et donc j'ai créé un personnage. Parce que si le naufrage est un fait historique, le reste est fiction, il y avait des interstices dans cette aventure pour glisser du romanesque. Enfin, un peu plus de romanesque parce c'est déjà, au départ, un fait très romanesque.

Difficile d'écrire ainsi trois existences, trois histoires séparées avant qu'elles ne se rejoignent ?

Au début du roman, comme j'avais mon plan, j'ai écrit chapitre par chapitre l'histoire de chacun des trois personnages. Mais assez vite je me suis rendu compte que cela devenait super dur de chaque fois se replonger dans leurs vies respectives pour retrouver le fil, reprendre leur trajectoire. Donc, oui, j'ai écrit les parcours de Marie, de Fernando et de Diogo jusqu'au bout jusqu'à ce qu'ils se retrouvent, et pour finir je divisais cela en chapitre, pour conserver le rythme.

La présence d'un personnage féminin interpelle. Est-ce incongru ou pas ?

C'est clair que sur les navires de l'époque c'était à 99% des hommes. Mais comme j'avais toute cette partie dans les dunes du Médoc je me suis dit qu'une femme serait un bon contrepoint mais une jeune femme avec un énorme caractère, quelqu'un de dur, parce que l'époque voulait ça aussi. Et elle entre, je trouve, très bien dans le paysage du roman et notamment dans cette communauté de pilleurs d'épaves, avec ce village qui fait très western où il y a le magasin de l'oncle qui pourrait être un saloon et où les haches remplacent les Colt. Mais il y a un autre personnage féminin important, qu'il ne faut pas oublier, c'est la sorcière.

Ecrire d'abord un recueil de nouvelles, cela a apporté plus de confiance que d'expérience, ou l'inverse ? On aussi dit que la nouvelle est un art plus complexe que le roman, d'accord avec ça ?

Ecrire des nouvelles m'a apporté bien sûr les deux, vraiment. Quant à l'art de la nouvelle, je ne suis pas tellement d'accord. Parce qu'un roman pour qu'il tienne debout il lui faut une colonne vertébrale, une structure solide et, franchement, c'est tout sauf évident, c'est beaucoup de travail. Dans un recueil, une nouvelle un peu moins efficace, ce n'est pas si grave, vous passez vite à la suivante... dans un roman, un moment de faiblesse pardonne moins. Personnellement j'adore écrire des nouvelles, je me sens bien dans ce format et d'ailleurs j'ai écrit des chapitres vraiment en pensant à la nouvelle, notamment pour trouver des chutes qui donnent envie d'en savoir plus.

N'est-ce pas étonnant qu'un fan comme vous de Tim Dorsey ou Larry Brown, écrive un premier roman d'aventures et pas un polar dont vous êtes spécialiste ?

Je ne sais pas. Quand je croisais des lecteurs il y a peu ils me demandaient quand est ce que j'écrirais Presqu'Îles 2 donc, en fait, ne pas être là où on m'attend, ça m'arrange. Ce n'est pas parce que je lis du polar que le jour où je me mets à écrire ce sera un polar. C'est vrai que cela peut en surprendre plus d'un. Même quand on consulte mon blog, il n'y a pas je crois de romans d'aventures. Il y a des westerns ça oui. Pour tout dire, j'ai écrit le roman pendant les différents confinements. Peut-être qu'inconsciemment il y avait ce désir d'évasion.

Lecteur passionné, blogueur, maintenant auteur. Passer de l'autre côté du miroir, c'est excitant, décevant ?

L'avantage, c'est que lorsque vous allez à une rencontre en librairie, vous avez une chaise qui vous est réservée ! Plus sérieusement, je voyais déjà comment cela se passait plus ou moins. Aujourd'hui, j'ai aussi l'expérience de la tournée en librairies avec Presqu'Îles alors je gère plutôt bien. Bien sûr, il faut être prêt à avoir parfois 80 lecteurs face à soi et d'autres fois juste huit. Mais dans l'ensemble c'est assez agréable. Lors d'une rencontre, il y avait des questions sur des cartes à tirer. Plus ou moins sérieuses. L'une était "avez-vous votre permis bateau ?". J'ai trouvé ça super drôle. Il y a aussi les rencontres avec les scolaires, ou des étudiants et là c'est autre chose, parce qu'ils ont des questions super cash et j'adore ça. Une jeune fille m'a demandé si je me sentais légitime pour parler des indiens et notamment de mon personnage Ignacio. Et on est parti sur l'appropriation culturelle. Ce n'était pas agressif, ça a créé du débat, les jeunes n'ont pas de filtre... oui, ces rencontres, ce n'est pas un cliché, sont intéressantes quand on m'interpelle sur le livre, son histoire. C'est toujours enrichissant ce genre d'échanges.

Comment est née cette envie d'écrire ?

Assez bizarrement d'un post Facebook. C'était en 2018 si mes souvenirs sont bons. Je racontais un souvenir, l'histoire d'un type dans le Médoc qui avait trucidé son voisin. Et là je reçois un message privé d'une éditrice qui me dit que c'est bien et qu'elle aimerait bien lire autre chose de moi. Du coup j'en parle à mon ami Hervé Le Corre (auteur chez Rivages). Lui aussi trouve que c'est vraiment pas mal et m'incite à creuser cette veine. Pour dire la vérité, nous sommes tous les deux fans des nouvelles, des histoires de Larry Brown, de Chris Offutt. Mais on s'est toujours demandé pourquoi les lecteurs français adoraient les ploucs américains mais pas les ploucs français. En quoi ils sont plus cools que les ploucs français ? Donc j'ai écrit une douzaine de nouvelles que j'ai proposé à une éditrice qui m'a avoué qu'elle ne publiait pas de nouvelles. Mais que deux d'entre elles pourraient être développées pour un roman. Sauf que je n'étais pas disposé pour ça. Du coup, j'appelle une amie éditrice, lui fais lire mes nouvelles, elle me dit d'en parler à Sébastien Wespiser. Ce que je fais. Il commence à imaginer tel ou tel éditeur intéressé. Et finit par m'annoncer qu'il va les publier, chez Agullo. C'est comme ça que ça a démarré.

Pour mourir, le monde est le plus gros démarrage de la jeune histoire de votre éditeur Agullo (qui héberge Frédéric Paulin, Valerio Varesi...). Signer chez Agullo, c'était le choix du coeur ou c'était aussi professionnel ?

C'est une maison qui a tout de même réussi à vendre plus de 9000 exemplaires de Presqu'Îles, un recueil de nouvelles sur des gens qui vivent dans le Médoc l'hiver ! Je ne sais pas si vous réalisez l'exploit. En septembre, Agullo n'a sorti que deux titres dont mon roman. Cela signifie donc qu'ils s'occupent très bien de leurs auteurs, qu'ils les aident et qu'ils les suivent. Ils m'ont fait une super jaquette avec une carte de Goa du 16e siècle, là où se passe l'action du roman! Et pour la couverture, ils ont trouvé de magnifiques gravures. Parce que Sébastien Wespiser (l'éditeur) voulait aussi que ce livre soit un objet. On a pu longuement échangé par exemple sur la typo pour faire quelque chose de moderne qui casse avec l'image de la carte... Je pense que leurs méthodes sont les bonnes pour défendre des textes. Et je suis bien heureux de ne pas être perdu dans un catalogue au milieu de trente ou quarante autres auteurs.

Y-a-t-il une pression pour la suite ?

Ah non, zéro pression. Je rappelle que ce n'est pas mon métier. Et comme en ce moment je n'ai pas d'idées... J'aimerai bien écrire autre chose mais je ne sais pas quoi. J'attends de trouver un sujet qui m'intéresse vraiment.

 

 

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