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The killer inside me

Littérature noire

Jerry Stahl : " écrire c'est comme courir très vite pour pouvoir rester au même endroit "

 

A l'occasion de la 7e édition de LIbri Mondi à Bastia, quarante-cinq minutes incroyables avec une légende vivante, un Jerry Stahl, redouté, mais au final, tellement ouvert, maniant un humour noir décapant, se moquant même gentiment de mon imitation se sa baby sitter. L'occasion de parler de Nein nein nein !, de Permanent Midnight, de ses prochains romans, de ses anciens scénarii, de ses rencontres et un peu de drogues aussi. Rarement un auteur est apparu aussi disponible, apaisé et intéressé par un échange. Merci à lui.
Philippe Arronson, Jerry Stahl, Bénédicte Giusti sous les pins de l'hôtel Pietracap (Photo Delphine Valentin)

Lorsque vous décidez de ce voyage touristique dans les camps de concentration de Pologne et d’Allemagne, saviez-vous déjà que cela serait un livre ?
Cela a commencé par être un reportage de six articles pour Vice Magazine. Mais ces articles n’avaient rien de très personnel, j’y parlais essentiellement des camps et quand j’ai rédigé pour en faire Nein nein nein !, c’est devenu à la fois plus personnel et plus fou.
J'avais écrit un livre pour Akashic, il y a plusieurs années, The heroin chronicles (inédit en France) et j'ai donc appelé l'éditeur John Temple, qui est aussi musicien (bassiste de Girls against boys), et un ami. Je lui ai demandé est-ce que tu voudrais faire ce livre ? Il m'a dit bien sûr. C'est aussi simple.
Avez-vous réalisé une tournée promo aux Etats-Unis et comment cela s'est-il passé ?
Oui nous avons fait une petite tournée aux Etats-Unis et pour une étrange raison, des revues juives qui, je pensais aller me crucifier, ont adoré ! Je n'ai eu aucune critique négative et c'était presque décevant. Je pensais que les gens seraient choqués et horrifiés, me poursuivraient dans les rues, pour me torturer. Mais non.
Vous êtes devenu mainstream ?
Accidentellement !
A la fin du roman, vous évoquez le parallèle que certains font entre l'Holocauste et les restrictions du Covid. Après ce voyage, cela vous a rendu fou ?
Attention, ce n'est pas moi qui fait ce parallèle mais bien la droite américaine. Ce sont ces politiciens , proches de Trump, qui comparent le Covid et l'Holocauste. Tout est comme l'Holocauste pour eux ! Pour eux l'Holocauste n'existe pas, à part peut-être pendant la pandémie. Ce n'est pas grave. C'est cette surréaction des Proudboys, du cercle de Trump... les Proudboys ce sont un peu comme vos fascistes ici. Ces gens qui n'ont pas pu être les militaires qu' ils rêvaient d'être et qui finissent par faire du cosplay, vous savez ceux qui s'habillent comme des personnages de films ou de dessins animés.
Avez-vous présenté ce livre en Allemagne, chez ceux qui parlent cette langue que vous comparez, dans Anesthésie générale, " au bruit du verre dans un broyeur à ordures "?
Etonnamment non ! (sourires) J'attends. Je dors près de mon téléphone, je surveille ma boîte mail... et rien (en français). Mon nom Stahl n'est pas allemand du tout pour ceux qui se demandent. A l'origine c'est Stahlensko. Mon père venait d'Ukraine où il était né, et de Lituanie et c'est à Ellis Island qu'ils ont raccourci son nom.
Il y a un lien entre ce dernier livre et votre premier, Permanent Midnight, puisque dans ce celui-ci vous écriviez, en 1995, "je ne me rassasiais jamais des atrocités nazies ". Après ce voyage, vous êtes rassasié ?
C'est une autre addiction... Ce n'est pas drôle. J'ai une fascination morbide pour cette époque, ces comportements. Parce que lorsque j'écrivais Nein nein nein !, je pensais écrire sur le passé évidemment et puis il s'est avéré que j'écrivais sur l'avenir. J'évoque Luther et ce qu'il écrivait sur les juifs il y a des siècles de cela, mais les juifs ont toujours été détestés, c'est la même  chose aujourd'hui.
Avec ce dernier livre, vous sentez-vous plus juif que par le passé ?
Comme disait mon grand-père, " si jamais tu oublies que tu es juif, un goy te le rappellera.." Et maintenant, merci à Trump, ce sentiment était là mais les gens se sentent beaucoup plus à même d'haïr les juifs et de le dire. Elon Musk par exemple... On se sent plus juif aussi parce que c'est plus dangereux d'être juif en ce moment. Il y a des endroits où je n'oserais pas aller, avec des survivalistes, des neo-nazis, dans l'Idaho par exemple. Il y a des coins des Etats-Unis qui sont des paradis pour nazis. Je ne me suis jamais senti vraiment juif mais si j'allais là-bas c'est comme si j'avais la carte du Neguev au milieu du visage !
Comment s'est déroulé votre invitation au salon du livre de la mémoire de la shoah à Paris en juin ?
C'était formidable. Même si ce n'est pas le mot adéquat. Vous y allez avec un immense respect. Mais je crois que c'est à Orléans qu'il y avait un survivant des camps dans le public. Au début j'ai bien senti qu'il me regardait en pensant, mais c'est qui ce type qui a écrit un livre marrant sur les camps ? Au final, il s'est mis à rire lui aussi. Et je me suis senti plus à ma place. Je voulais être sûr que l'on partageait la même blague, celle de ces touristes qui vont visiter des camps de la mort habillés comme s'ils allaient à Disneyland. Ils ont compris. Parce que je fais de l'humour sur ces snacks désormais installés au coeur des camps, je ne fais pas d'humour sur les crématoriums. Ce n'est pas la même chose. Vous savez, Hitler n'a jamais eu peur d'être assassiné, il avait peur que l'on se moque de lui. L'ultime revanche pour un juif, c'est donc d'en rire.... si on peut.
Permanent Midnight vient donc de ressortir en France, considérez-vous ce livre comme la matrice de votre oeuvre littéraire ?
Oui. Je suis officiellement un junkie permanent et j'ai arrête l'héroïne depuis 24 ans mais ce n'est pas tellement un livre sur les drogues : les junkies sont aliénés, isolés, solitaires, en dehors de la société... quand j'étais gamin, tous mes héros étaient des camés, Miles Davis, Keith Richards, William Burroughs mais ce qu'ils ne vous disent pas c'est quand ils prennent de l'héroïne et qu'ils se frappent la tête.
Avez-vous fait la paix avec le souvenir de votre père, sa disparition, qui est rapportée dans Permanent Midnight ?
Je crois oui. Vous voulez parler de son suicide ? Je comprends parfaitement. Je suis plus surpris quand les gens ne se suicident pas. Pour moi, de ce que j'ai appris, j''estime que quand vous vous suicidez, le sang se répand sur les vivants. Alors OK, vous vous retirez, vous n'êtes plus là. Mais vos enfants et les autres sont fracassés. Peu importe donc à quel point je me suis senti mal, je suis un dépressif, je ne suis pas le mec le plus joyeux sur cette planète mais je ne ferai jamais ça parce que c'est le geste le plus égoïste qui soit. Je comprends je le répète. Mais c'est une gifle dans la figure de vos enfants qui se demandent "qu'est ce que j'ai fait ? ". La vie est suffisamment dure sans cela. Mais en ce qui concerne mon père, j'ai capté son geste. Et oui, je suis en paix avec ça.
Il y a une anecdote dans Permanent Midnight quand vous racontez que votre baby sitter se collait des nounours en bonbon sur sa poitrine pour que vous les croquiez ? C'est véridique ?
(rires) Je ne m'en souvenais plus ! J'ai un flashback. C'est quasiment un stress post traumatique (rires). Mais oui. Elle le faisait. Et elle me mordait aussi. Elle était super. Heureusement, je suis devenu complètement normal. J'avoue que les bonbons me rendent nerveux. Pas les poitrines.
Dans ce livre vous parlez d'Hubert Selby Jr et de ce qu'il vous a apporté...
Il était comme un mentor pour moi, il m'a donné des conseils importants. Lors d'une rencontre je lui avais confié que j'allais devenir fou si je stoppais la dope. Et il m'a répondu " trou du cul ! Tant que tu n'as pas laissé tomber les drogues et l'alcool, tu ne peux pas savoir à quel point tu es vraiment dingue. C'est quand tu n'as plus rien dans le corps, que tu es clean, que tu découvres le fou que tu es ! " Et c'est parfaitement vrai.
Avez-vous été scénariste (sur les séries Alf ou Clair de lune notamment) trop tôt quand on songe à vos confrères américains qui ont fait le chemin inverse, du roman vers le scénario pour séries télé ?
J'avais des enfants, il fallait que je gagne ma croûte. Donc non, ce n'était pas trop tôt, peut-être même un peu tard. Quand je me suis retrouvé avec Ben Stiller pour faire le film de Permanent Midnight, je ne savais pas en fait pas écrire de scénario, de scénario pour le cinéma en tous les cas, je ne savais pas faire une adaptation, j'étais un idiot complet. On a tout de même bossé tous les deux sur le scénario de What makes Sammy run, de Budd Shulberg mais le film ne s'est jamais fait. J'ai appris à travailler avec des réalisateurs, des acteurs. Parce que je ne suis jamais allé dans une école de cinéma. Plus tard, heureusement, j'ai été recontacté par Ben pour travailler sur la série Escape at Dannemora, avec Benicio del Toro (deux épisodes, 2018). J'aime ça au final. Ecrire des romans j'adore mais c'est un processus différent : c'est totalement toi et si c'est nul c'est ta faute, si c'est génial c'est grâce à toi. Ecrire pour un film c'est comme avoir quelqu'un dans ton dos qui te met des gifles derrière la tête mais pour tout dire, j'aime ce travail de collaboration, c'est une bonne manière de bosser.
La fiche Wikipedia de Jerry Stahl assure que vous avez travaillé sur Twin Peaks mais ce n'est pas ce que vous écrivez dans Permanent Midnight. Où est la vérité ?
A cette époque, j'étais un junkie. Et je crois que l'histoire est assez connue : je n'avais pas d'ordinateur et j'ai donc rendu un scénario sur papier qui était plein de tâches de sang, de traces d'héroïne. Donc j'ai été viré. Et des années plus tard, Lynch m'a appelé pour que je joue dans Inland Empire. La boucle était bouclée.
Thérapie de choc pour bébé mutant est sorti il y a dix ans. Qu'attendez-vous pour écrire un nouveau roman ?
J'ai écrit depuis ! Enfin je crois... J'ai un autre roman pas encore publié mais vous savez, j'écris tout le temps et vous n'avez pas le contrôle de la date à laquelle cela sortira. Il y a la créativité et il y a le business. Je m'occupe de la créativité. Mais le business ? C'est un peu difficile pour moi (en français). J'ai donc un autre roman mais en ce moment, il y a cette option de Robert Downey Jr sur Nein nein nein ! pour faire un film avec Stiller.  Cet autre roman s'appelle Bad sex on speed. Vous savez, j'écris juste pour ne pas devenir fou, C'est toujours cette histoire de courir aussi vite que possible pour rester au même endroit. C'est comme prendre un escalator, monter un peu, descendre un peu, et faire en sorte de rester au milieu, de ne pas en sortir. Pour utiliser une image animale, je suis comme le hamster qui doit tout le temps ronger quelque chose pour que ses dents ne lui crèvent pas la bouche... c'est ce que je répète à mes élèves. Ceux que j'ai eu à la prison de San Quentin, des jeunes délinquants.
En vous lisant, on a du mal se dire que vous avez un plan pour vos romans ?
Je n'en ai pas effectivement. Norman Mailer avait une bonne formule pour décrire l'écriture d'un roman, " c'est comme conduire dans la nuit et vous ne voyez qu'à six mètres dans vos phares, et puis encore à six mètres et ainsi de suite ". Pour moi, il s'agit d'inventer en permanence. Parfois j'ai une fin et d'autres fois, je reste devant le livre... et c'est une surprise. Dans les films vous devez avoir un fil conducteur, c'est un bon équilibre, il y a un début, un milieu, une fin. C'est aussi un business.
Que devez-vous dans votre vie ou votre carrière, à William Burroughs ?
Il est très important pour moi. J'ai connu son fils William Burroughs Jr lorsque je suis arrivé pour la première fois en Californie, à Santa Cruz, pour faire du journalisme. C'était donc bien avant internet et c'est presque comme si ça n'avait jamais existé. Mais il y a un éditeur californien qui aujourd'hui veut compiler justement tous mes reportages, mes écrits de non-fiction... mais pour vous répondre, quand j'étais très jeune, j'ai lu Burroughs et j'étais naïf, je ne savais pas qu'il était permis d'écrire ainsi, de dire ces choses indicibles. Ces sentiments d'un peu tout le monde mais sur lesquels on n'arrivait pas à mettre le doigt et quand vous les lisiez, vous vous disiez "ah oui". Et c'est donc de là que je viens. Je ne parle pas souvent d'écriture parce que ça me semble toujours un peu prétentieux un écrivain qui parle d'écriture. J'aime donc Burroughs pour ça et pour sa façon de parler de l'héroïne qui est une vraie merde. On lui a demandé une fois pourquoi il prenait de l'héroïne, il a répondu que c'était pour pouvoir se lever et se raser. Il y a plus glamour non ? On dit que ceux qui prennent de la coke, c'est pour tout ressentir. Et ceux qui prennent de l'héroïne, c'est pour ne plus rien ressentir. Moi, j'ai fait les deux.
A quel point vous sentez-vous proche de James Ellroy ?
De plus en plus. On s'est parlé pendant deux heures au téléphone, il y a quelques semaines. J'aime ce type. Il y a quelques années, je lui avais demandé de me faire un blurb (une citation en bandeau sur les livres). Finalement il a accepté et c'était plus que bien. C'était pour Thérapie de choc... Et quelqu'un lui a demandé, alors tu as aimé le Jerry Stahl ? Et il a dit, " non mais cet enfoiré a tellement insisté "  Et ça c'est James. Benicio del Toro a eu la gentillesse également de ma faire un blurb. Je l'avais interviewé lui aussi il y a très longtemps. C'est un mec intelligent et un grand lecteur. Johnny Depp aussi est un grand lecteur.
 

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