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The killer inside me

Littérature noire

Hervé Le Corre : " ma révélation, c'est Garcia-Marquez, à 18 ans "

On va plutôt se mettre à l'ombre. Ce matin, sur le balcon, j'étais au soleil. C'était trop fort... " Hervé Le Corre, 63 ans, grand artisan du roman policier français depuis bientôt trente ans, pourrait presque se résumer dans cette phrase anodine : il préfère l'ombre, la discrétion. Un de ses amis, Yann Lespoux, dit de lui "  ce qui me frappe c'est son humilité, il est toujours à mettre les autres en avant. " Même lorsqu'il reçoit le prix européen pour Après la guerre, en plein festival du Quais du polar, à Lyon en avril 2014, avec James Elllroy à ses côtés et des mains de Jean-Louis Debré, le Bordelais n'affiche qu'un sourire timide. C'est vrai aussi que, bon, Jean-Louis Debré, alors lieutenant de l'UMP, pas vraiment sa tasse de thé. Mais ce n'est pas ça. Hervé Le Corre n'a tout simplement pas l'habitude des ors, des hommages, des buffets et des petits fours.
Ce matin-là, au nord de Bastia, pour les rencontres Libri Mondi, il est un peu forcé de se raconter. " Je viens d'un quartier populaire du nord de Bordeaux, de Bacalan, raconte-t-il avec un bel accent qui fait résonner l'Atlantique. Mon père était un métallo, il travaillait dans une usine de l'aéronautique, il a aussi été docker et servait dans des bars où il faisait des extras. J'ai une conscience de classe. C'est quelque chose en moi. Assez naturel. "
Peu d'auteurs peuvent ainsi se targuer de coller autant à leur œuvre, d'être aussi proche de leurs personnages, sans pour autant verser dans l'autobiographie déguisée. Il faut lire son recueil de nouvelles, Derniers retranchements (2011, Rivages), broderies sur l'injustice, la violence, l'amour. 280 pages d'un exercice rare dans l'hexagone et qui pourtant révèle aussi le talent d'un homme qui n'était pas prédestiné à l'écriture. " J'ai toujours aimé lire quand j'étais gamin mais ce qui m'a vraiment marqué, c'est la littérature latino-américaine. Sans doute plus et en tout cas bien avant les auteurs français ou anglo-saxons ! Je me souviens très bien du jour où j'ai découvert Gabriel Garcia-Marquez : j'avais 18 piges, je viens de passer le bac, j'étais avec mes parents au camping à la dune du Pilat. Chaque année, on allait là parce que mon père détestait voyager. C'est vrai que ça commençait un peu à me gaver... Et là, un ami nous rejoint, depuis Bordeaux en Solex, soixante bornes ! Il installe sa tente. Et il me sort 100 ans de solitude en me disant, lis-ça. Je me suis jeté dedans, c'est une merveille, je l'ai fini en dix jours. Un flash. Je l'ai relu dix fois depuis. Sur une île déserte c'est le roman que j'amène, pas Ellroy... De là, j'ai commencé à lire Alejandro Carpentier, Carlos Fuentes. C'était pas du polar ! Mon premier polar, je l'ai lu à 23 ans. C'est encore un copain, mon coloc dont l'oncle bossait dans l'imprimerie qui travaillait pour La Série Noire. Il y avait forcément quelques exemplaires qui tombaient de la machine. Et le pote me passe Le petit bleu de la côte ouest. Je lis ça comme un roman d'action, bien foutu, bien rythmé et là, l'idée commence à germer : c'est facile en fait, tu mets deux flingues, un peu d'action ,des gonzesses. Et c'est en le relisant que j'ai compris le boulot qu'il y avait. "

Le passage chez Rivages ? Merci Raynal
Enseignant de lettres dans un collège de zone d'éducation prioritaire à Bègles - " attention, c'est une ZEP mais ce n'est ni les quartiers nord de Marseille, ni la Seine Saint-Denis " - il a pris sa retraite il y a deux ans, après plus de trente ans d'un métier qu'il a aimé faire, avec des ados qu’il a appris à aimer. Et puis chez, lui, comme le dit encore Yann Lespoux, " il y a une vraie volonté de passeur " . Ce doit être pour cela que ces deux-là, avec le libraire Olivier Pène, se réunissent régulièrement à La Machine à lire de Bordeaux pour partager avec des lecteurs leurs romans du moment. Il a paraît-il fait vendre des caisses de Laura Kasischke ou Richard Krawiec. " Oui enfin, je ne suis pas un lecteur aussi vorace que mes deux compères, minimise-t-il... Dernièrement j’ai conseillé Une assemblée de chacals, de Zahler, ce fou furieux ! Et en ce moment je lis Le bruit du dégel, de John Burnside, chez Métailié, c’est vraiment excellent. "
Forcément, il est un grand lecteur des auteurs de Rivages. Plaçant Voleurs, de Christopher Cook, en haut de la pile. Avec Le Daliah Noir bien sûr, lu à sa sortie. Et puis Off Minor, de John Harvey, auteur britannique qu’il a eu le plaisir d’interviewer à l’occasion d’une rencontre croisée, chez Mollat. Sans oublier Daniel Woodrell et La mort du petit coeur.
Rivages, une histoire d’amitiés, une histoire d’hommes. En 2003, toujours avec son carnet fait de notes sur la page de gauche et d'une ébauche sur la page de droite, avant d'écrire sur l'ordinateur, il boucle son manuscrit de L’homme aux lèvres de saphir. Le propose à son éditeur, Patrick Raynal, patron de La Série Noire. "Il m’appelle pour me dire que c’est très bien mais que lui va partir de Gallimard. Il me conseille donc de voir avec François Guérif, le créateur de Rivages. Je fais donc mon courrier. Et Guérif me rappelle en me disant qu’il ne l’avait pas fini mais qu’il aimait déjà beaucoup... J’ai apprécié le geste de Raynal. Il a été beaucoup critiqué mais c’est lui qui, dans La Noire, a édité Larry Brown, le premier Palahniuk. San Isidro Football Club de Pino Cacucci. Et puis Crumley. Et Offutt ! Il fallait oser à l’époque. "
Au fil des années, François Guérif est devenu un proche, un ami. Au point que lorsque le boss de Rivages, figure tutélaire du roman noir en France, décide de quitter la maison qu’il a fondée, quelques temps après l’arrivée d’Actes Sud aux manettes, il décide de conserver avec lui, comme éditeur chez Rivages, six auteurs: James Ellroy, David Peace, Dennis Lehane, James Lee Burke, Emily Saint John Mandel et Hervé Le Corre. On a vu pire comme compagnie.
Et puis, quand il ne lit pas, le jeune retraité va au cinéma. Récemment, il s'est enthousiasmé pour The Chaser de Na Hong-jin. Il évoque aussi Park Chan-Wook. Et de manière générale, le cinéma sud-coréen, avec Infernal Affairs par exemple, a ses faveurs, pour son esthétique, sa violence raffinée. La violence, virile cette fois, il l'apprécie également dans le sport et le rugby surtout. Il a gardé de son enfance, l'habitude de samedis après-midi d'hiver à la maison avec son père à regarder le Tournoi des V nations, observant les courses de Gachassin, les charges de Spanghero... On n'est pas de Bègles, du Sud-Ouest, sans une inclinaison forte pour l'ovalie. Lui ne s'intéresse pas tellement aux classements mais plutôt au jeu. " Les joueurs sont quand même devenus de sacrés bonhommes, s'étonne-t-il presque. Il y a eu un changement de physionomie mais aussi un changement dans les phases de jeu. Beaucoup plus de ballons au sol je trouve. Beaucoup plus d'impacts. C'est assez impressionnant de voir ces gabarits se rentrer dedans... Je me suis aussi rendu compte que cela restait un sport de Blancs. J'ai vu Invictus de Clint Eastwood, je trouve que ça dit de belles choses sur le rugby, les différences dans la société africaine. Bon en France, finalement, les petits des cités, ils préfèrent encore jouer au foot. Une fois j'ai demandé à des gamins de mon collège pourquoi ils n'allaient pas au rugby, on est à Bègles quoi ! Ils m'ont répondu que c'était un sport de bourges. " La conscience de la classe en somme.
Dans ce bel après-midi de fin d'été, il s'est rendu à la rencontre avec Robert Mc Liam-Wilson. Goûtant l'esprit du nord-Irlandais. Riant de ses provocations. Profitant de ce moment un peu curieux, entre la fin de l'écriture et la parution. Bastia, finalement, c'était peut-être la première étape du marathon qui s'annonce pour son douzième roman (lire ci-dessous). Pour l'instant, le manuscrit est à la correction, entre les mains de Jeanne Guyon. D'ici quelques semaines, la pression va monter, avec des rendez-vous presse, rendez-vous lecteurs. Depuis Après la guerre (60 000 exemplaires en grand format et poche), il se sait attendu.
A propos de Dans l'ombre du brasier

Il n’y avait pas une volonté propre à écrire une suite. C’est juste que cela s’est imposé maintenant. Enfin, il y a plusieurs mois. Désormais c’est fait, Dans l’ombre du brasier, la suite chronologique, mais pas littérale, de L’homme aux lèvres de saphir, est prévue pour janvier prochain. " L’assassin Pujols est toujours là et il s’associe en quelque sorte avec un photographe pour kidnapper des jeunes filles... Mon histoire se déroule dans ce mois de mai 1871, pendant la Semaine Sanglante, je fais du jour par jour du 18 au 28 mai, et il a fallu que je me renseigne énormément, d’abord sur les procédés photos de l’époque et puis sur ces journées de La Commune. Egalement sur la géographie de Paris à l’époque. Politiquement, c’est intéressant. C’est peut-être la première défaite du monde ouvrier. Après 48. Qui était une révolte. La Commune c’était une insurrection construite, qui souhaitait la disparition de l’Etat au profit des communes. Ces hommes et ces femmes se définissaient communalistes. Pas communistes..."

Photo @Jonathan Mari/Corse-Matin

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C
Et oui, Hervé Le Corre, tout simplement...
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