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The killer inside me

Littérature noire

Par le trou de la serrure : Crews journaliste c'était quelque chose

Un pincement vous étreint toujours quand on vous annonce un inédit d'Harry Crews. Vingt ans après sa mort, il y a encore des textes non édités ? Et puis on se dit que, oui, il écrivait beaucoup, tout le temps. Des romans, traduits par Sonatine ces dernières années. Mais aussi des reportages. Comme ceux de Péquenots, publiés par Finitude en 2019, quarante après la version US ! Par le trou de la serrure, ce sont encore des reportages, parus dans Esquire, Playgirl, Playboy, Southern magazine mais qui n'ont jamais été ainsi compilés et qui ont été confiés à Finitude, par Byron, le fils de l'auteur. Voilà qui situe l'enjeu de ce livre que tout fan du Crews s'empressera de dévorer. Parce que oui, c'est encore du très bon.

L'ours du comté de Bacon, Géorgie, se raconte avec la sincérité qu'on lui connaît, avec la tendresse virile qui le caractérise. Il sait parler de la mort de son jeune fils de quatre ans sans jouer sur les cordes lacrymales, en affrontant ses propres échecs, il sait aussi témoigner de son passage en cure  de désintoxication alcoolique, sans oublier son séjour chez les Marines, ou encore son enfance, bien entendu, au milieu de ses chers mulets. Un article sur sa mère suinte d'un amour incroyable, à la fois rude et simple, sans détour. Il clame de même toute son affection pour ce Sud natal, rappelant dans sa prose ses soirées autour de la cheminée à écouter les histoires des hommes tout en suçant un tissu imprégné de sucre. Evidemment qu'il regrette ce temps qui passe et qui change tout, mais sans jouer les vieux cons de salon, " les putes avaient disparu bien sûr. On ne les voit plus nulle part hormis dans des endroits éloignés des grandes villes où elles offrent leurs services essentiellement à des nains bossus aux yeux vairons. "

Mais Par le trou de la serrure se remarque tout autant pour ses reportages, véritables commandes des grands magazines de l'époque. Il y a ainsi une hallucinante soirée à Las Vegas pour un combat de Mike Tyson en compagnie de Madonna et Sean Penn, son mari de l'époque. Et il y a beau y avoir Sinatra, Warren Beatty, Nicholson dans la salle, les photographes n'en ont que pour ce couple tellement glamour. Une véritable horde de flashes, un enfer de tous les instants et c'est Donald Trump qui vient au secours de tous en proposant des places plus près du ring, plus loin des objectifs. Une soirée qui se terminera dans les cuisines du casino où Madonna dédicacera des serviettes de table aux employés, 

Avec cette forme de lucidité et de franchise, Harry Crews va également passer quelques jours avec un grand ponte du Ku Klux Klan, David Ernest Duke qui lance, assez tranquille : " je suis raciste. Mais pas dans le sens où je déteste les noirs, les Mexicains, les Juifs ou n'importe qui d'autres. Je suis raciste dans le sens où j'aime mon peuple. " Une parole décomplexée, dès 1980. Et là aussi que Crews est fort, dans l'approche de la dinguerie américaine, notamment avec un évangéliste à la tête d'une fortune inimaginable.

Vingt-sept textes au total, certains peut-être moins pertinents, mais ils sont très rares. En tous les cas, les craintes que l'on pouvait formuler sur ce nouvel inédit sont vite balayées. Crews n'a jamais fait dans le low cost, il n'a jamais dévié de son écriture et son impressionnisme littéraire transpire autant dans ses romans que dans ses articles.

Par le trou de la serrure (trad. Nicolas Richard), ed. Finitude, 33 pages, 24 euros.
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