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The killer inside me

Littérature noire

Il reste la poussière : la Patagonie, presque, comme un cauchemar

Envie de voyages ? Envies de grands espaces ? Embarquez avec Sandrine Collette, direction la Patagonie. Mais attention, pas celle de Nicolas Hulot, avec des montgolfières, des tentes Quechua et le bain douche à la fleur de Tiaré. Non, la Patagonie, de la seconde moitié du XIXe siècle, dans une ferme avec une mère et ses quatre fils et deux mille têtes d'ovins, une centaine de bovins. Une Patagonie qui sent le fumier, à l'horizon infini, sec et poussiéreux. Et franchement, ce n'est pas super glamour.
Rafael est le dernier enfant de "la mère". Dans un foyer où le père a disparu juste avant sa naissance, il est martyrisé par les deux aînés, les jumeaux Mauro, le plus fort, le mâle alpha, et Joaquin. Ce sont roustes sur roustes, humiliations sur humiliations, à l'abri du regard de la génitrice, pas non plus un modèle de bienveillance. L'autre enfant, le troisième, Steban est appelé "le débile", pour son air ahuri, sa façon de ne pas pouvoir aligner trois mots sans bégayer. Peut-être a-t-il une bonne raison pour cela. Le quotidien de ces quatre enfants et jeunes hommes ? Monter à cheval pour ramener les boeufs à la ferme, surveiller les naissances, récupérer les bêtes qui se perdent, tondre. Une vie de labeur et de misère, dans une ambiance de psychopathes. Si Rafale souffre physiquement des punitions de ses frères, intérieurement, il jubile depuis que sa mère lui a offert enfin un cheval, Halley, devenu son ombre, son double, presque un confident. Et puis il y a les chiens. Bref, là où il trouve de l'affection. Deux événements vont troubler cet ordre mal établi.
D'abord la mère va perdre, encore une fois au poker et cette fois, elle va même perdre l'un des jumeaux ! Joaquin est cédé à Emiliano, un fermier de la région. Quand la mère aura l'argent, elle pourra le récupérer. Ensuite, après une énième raclée, Rafael oublie de fermer l'écurie et deux chevaux s'enfuient vers les plateaux. Sommé d'aller les chercher, il va faire une rencontre qui changera le cours de leurs vies.
Il reste la poussière est un superbe roman d'aventure, un de ceux qui possède un souffle. Une réussite au point que le lecteur respire la sueur des brebis, sent l'odeur de la viande sur le brasero et garde le goût de cette poussière au fond de la gorge. La poussière, c'est celle que soulève les troupeaux, celle qui colle aux vêtements de ces cow-boys du bout du monde, celle que l'on respire tous les jours. Il y a la poussière et il y a les odeurs, dans ce lieu perdu où on ne prend le bain qu'une fois par semaine, " le parfum des corps fait partie de leur vie autant que celui des bêtes, à ne plus les distinguer, noyés sous les fumées de la corde brûlée quand ils ont ferré les chevaux, sous l'âcreté de la terre s'ils ont roulé au sol en attrapant les veaux que la mère a gardés pour les marquer. Entre leur sueur et celle des brebis et des boeufs, si peu de différence..."
Le huis-clos familial, loin de toute civilisation, exceptée cette ville où l'on peut boire et jouer (et aussi fréquenter des putes, voire lyncher des noirs...), sent la tragédie, toujours à deux doigts d'une violence irrémédiable. Le danger vient de Mauro, c'est évident. Mais aussi de la mère, furieuse harpie rigide. Dans une intrigue qui prend merveilleusement son temps, Sandrine Collette montre aux lecteurs que la vie dans ses contrées est d'une aridité crasse. Mais que d'un autre côté, cette existence demeure, en quelques sorte, préservée. C'est l'arrivée d'un "trésor", rapporté par Rafael, qui fait tout exploser. Pour le bien de tous ? Pour sa paix à lui, Rafael, cela c'est certain. Il y a une petite morale, in fine, pas si univoque, car des trois frères restant, il est à se demander lequel est le plus enviable.
Un roman d'une grande maîtrise dans lequel l'autrice restitue aussi un parler rural, s'y fond, moulant sa syntaxe dans celle de ces fermiers. L'effet, sans être d'une folle innovation, apporte le relief indispensable à cette histoire brute et brutale. Bref, c'est un régal.

Il reste la poussière, ed. Le livre de poche, 347 pages, 7, 90 euros
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