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The killer inside me

Littérature noire

Les mauvaises : l'enfance qui se meurt au village

Village de Souterre, cenre de la France, août 1988. Micheline, appelée Roberto, quinze ans, se pend depuis le viaduc qui fait face au lac. L'incompréhension est totale dans ce village. Deux jours plus tard, son corps est dérobé dans la chapelle funéraire...
Roberto vivait une adolescence presque normale avec son amie Ouafa et le jeune Oé, garçon sauvage que les deux filles étaient les seules à comprendre et accepter. Tous les trois passent des heures dans la forêt, dans l'eau du lac ou sur les rails de la voie ferrée désaffectée. C'est à dire qu'à Souterre, il n'y pas grand chose à faire. Le bourg tourne autour de l'usine Arnaud, propriété du beau-père d'Oé, sorte d'aristocrate moyen, qui a pour projet d'étendre son activité et donc de raser une partie de la forêt. Au grand dam du trio d'amis qui, le soir, tend d'inoffensifs fils entres les engins de chantier, espérant les mettre à l'arrêt.
Comme autre « distraction », il y a aussi l'arrivée  de ce vagabond. Regardé de travers par l'ensemble du village, Roberto lui a donné quelques tuyaux pour s'installer dans une maison abandonnée, se reposer. C'est une présence pour Roberto. Chez elle, son père aimant, Lipo, est du genre ouvrier taiseux. Et son grand-père, qui l'a violée dans son enfance, finit sa vie dans un fauteuil, au garage, la main posée sur la tête d'une chienne qui, elle aussi, n'en a plus pour longtemps...

Quatre ans avant Jeannette et le crocodile, avec Les mauvaises, Séverine Chevalier publie un roman qui croise les troubles de l'adolescence, le vide d'une existence au village et les atteintes à l'environnement. Chaque page suinte de malaise, à peine contrebalancée par la joie de vivre – et c'est paradoxal – de Roberto. L'autrice nous fait bien entendre que le geste fatal de cette ado ne sera pas simple à comprendre. Comme c'est souvent le cas hors des romans d'ailleurs. Est-ce le viol passé de son grand-père ? Est-ce que c'est cette vie au village ? La forêt abîmée ? La volonté de ne pas devenir adulte ? Jouant avec les périodes, Séverine Chevalier prend le lecteur par la main pour lui faire assister à des saynètes, rencontrer des personnages de Souterre, observer le trio de jeunes amis. Elle donne à voir, sans juger. Mais on sent chez elle, bien sûr, une tendresse pour ces enfants. Pas forcément innocents puisque Roberto assume déjà une vie sexuelle. Pas innocents donc mais joyeux, vivants. Face à un monde qui, comme le grand-père, agonise en silence. « Il ne resterait plus que quelques fermes avec des vieux finissant maigrement leurs vies dedans, et après eux, plus rien, sauf le néant, le vide, la forêt qui finirait par tout engloutir. »
Au fil d'une narration d'orfèvre, Les mauvaises se finit sur une prose onirique qui offre une dimension incroyable au roman. Et la toute dernière scène finit de vous serrer le cœur. Il y a ici la force d'une plume et un regard unique sur un monde, un regard aussi tendre que lucide.

Les mauvaises, ed. La manufacture de livres, collection Territori, 207 pages, 18, 50 euros
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