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The killer inside me

Littérature noire

Dominik Moll, les César, la famille de Maud, les lectures

Ce week-end, Dominik Moll était tout sourire dans les allées de Quais du Polar à Lyon. Sac à dos sur l'épaule, visiblement heureux dans sa veste Coq Sportif, le réalisateur, sextuple césarisé il y a un peu plus d'un mois pour La nuit du 12, va à la rencontre d'un public qui a plébiscité cette poignante histoire d'une brigade prise dans l'impasse de l'assassinat d'une jeune fille. Entre plusieurs rencontres avec des lycéens lyonnais, au cœur du plus gros événement polar de l'hexagone, cet ancien étudiant de la Femis s'est confié sur son travail, ses lectures, son amour du cinéma.

Est-ce que l'on ressent les mêmes choses lorsque l'on reçoit un César en 2000 pour Harry, un ami qui vous veut du bien, et vingt-trois ans plus tard ?

Est-ce que c'est très différent ?... Non, pas tant que ça. Disons, qu'à soixante ans, on prend cela avec un peu plus de philosophie. Déjà, on ne fait pas de films pour obtenir des récompenses, ce que l'on veut vraiment, au départ, c'est que le film soit vu, qu'il touche le public. Et ça, c'était acquis avant les César, donc on peut dire que l'essentiel du boulot avait été fait et elle était, là, la récompense. Les César, c'est la reconnaissance de la profession qui vient confirmer la carrière du film. Revenir vingt-trois ans plus tard aux César n'est pas une revanche pour moi. Harry, avec ses deux millions d'entrées, a été quelque chose d'énorme, pour moi mais pas seulement. C'est surtout qu'après, j'ai fait d'autres films et je suis resté longtemps le réalisateur de Harry. Oui, cela m'a permis de réaliser d'autres films, j'en suis conscient mais on n'a pas envie d'être le réalisateur d'un seul film, il y a vingt ans. J'espère qu'aujourd'hui on ne me résumera plus à Harry, en pensant " ok il a été inspiré une seule fois, après un peu moins..." ! Donc, pour tout dire, ces derniers César me libèrent un peu de Harry.

Lors de la remise du César, vous avez loué la " curiosité du public ". Votre succès a été une surprise ?

En France, c'est un fait, le public est curieux. Prenez La conspiration du Caire : 500 000 entrées ! Un film en arabe, avec des inconnus. C'est assez exceptionnel. Je ne pense pas que cela arrive dans d'autres pays. Et donc j'estime que nous sommes hyper privilégiés en France d'avoir ce public là, qui voit le cinéma comme faisant partie du patrimoine culturel. Cela n'existe nulle part ailleurs. Dans ce pays, vous allez au restau ou au bar, régulièrement vous entendez des personnes s'engueuler ou ne pas être d'accord sur tel ou tel film. Moi qui connais un peu l'Allemagne, jamais je n'ai entendu une conversation comme ça. En Allemagne, la situation du cinéma d'auteur est une catastrophe. Ce sont les grosses productions américaines qui marchent, parfois les comédies allemandes ou bien Astérix et Obélix parce que, malheureusement, cela correspond à une certaine image de la France. Mon film, là-bas, il n'a rien fait. Bon, c'est aussi parce que là-bas, le polar est associé à la télé.

La cinéphilie serait donc une forme d'exception tricolore ?

Oui, il y a un socle, un noyau de cinéphiles curieux. Mais notre hantise de réalisateur c'est de se dire que c'est un socle vieillissant, un public entre 50 et 70 ans uniquement. La bonne surprise c'est que dans la carrière de La nuit du 12, les premiers spectateurs étaient des quadras, des quinquas et petit à petit, le bouche à oreille a fait que des plus jeunes sont allés le voir.  Et ce vendredi 7 avril, je reçois (interview faite avant bien sûr) le César des lycéens. C'est un jury de près de 2000 lycéens qui vote chaque année. Je ne vous cache pas que ce genre de récompense fait aussi super plaisir.

Est-ce qu'il y a un risque, commercial ou artistique, à ouvrir un film comme La nuit du 12 en annonçant d'emblée que le meurtrier ne sera pas retrouvé ?

C'est moins un risque de le dire au départ que le fait qu'il n'y en ait pas. C'est vrai que dans la règle du polar, c'est crime au début, criminel à la fin. Mais je n'avais pas envie de faire un polar de plus qui respecte les règles. Ce qui m'intéressait, c'était d'avoir une approche un peu plus singulière. Et d'aller contre la règle du jeu, ce n'était pas pour faire le malin ou frustrer le spectateur mais pour observer d'autres choses, d'être attentif différemment au travail de la police. C'est d'ailleurs ce qui m'a intéressé quand j'ai découvert le livre de Pauline Guéna (18.3, une année à la PJ, ed. Denoël) : les policiers doivent affronter des affaires qui ne sont pas résolues et qu'est-ce que cela génère en frustration, en colères, envies de laisser tomber. Sans finir sur une note amère mais plutôt positive, dans la trajectoire de Yohan (Bastien Bouillon) qui, au contact, de la juge d'instruction, de sa collègue policière, persévère, même s'il n'y a aucune garantie sur le résultat. Il sait qu'il doit cela à la victime, c'est pour ça qu'elle le hante.

Cette scène où Nanie, l'amie de Clara, dit à Yohan, " arrêtez de vous intéresser aux coucheries de Clara, c'est elle, la victime ", permet d'aborder la vision masculine des violences faites aux femmes ?

C'est un des questionnements. J'ai l'impression qu'il y a toujours un problème sur la perception de la sexualité des femmes.... On est encore sur des perceptions où l'homme aux multiplies conquêtes est un homme à femmes tandis que la femme sera une salope. Et s'il lui arrive quelque chose, " bah, elle l'a un peu cherché "... Certes c'est normal que les flics s'intéressent a ses ex amis parce qu'il y a des chances que le suspect soit parmi eux mais il y a très vite cette idée, qui ne vaut pas que dans la police mais aussi chez beaucoup d'hommes voire de femmes, que la sexualité d'une femme ne soit pas très libre. Cela ne vaut donc pas que chez les mollahs en Iran. On le voit aux Etats-Unis avec la remise en cause du droit à l'avortement.

Quand vous prenez le livre de Pauline Guéna entre vos mais, étiez-vous en train de chercher une bonne histoire ?

On cherche toujours des histoires quand on est réalisateur mais je ne cherchais pas à faire un polar. On est toujours à l'affût d'une histoire, ça oui. Je suis arrivé sur le livre de Pauline Guéna à travers la newsletter de Gallimard, j'ai vu un compte-rendu du bouquin, avec la quatrième de couv' et cette phrase qui disait qu' " un jour ou l'autre tout inspecteur de la PJ tombe sur une affaire qui le hante ". Et ça, ça m'intéressait. Je savais que Pauline avait passé un an aux côtés des policiers et cela, en tant que citoyen, c'était passionnant. Et c'est vrai que cette enquête, qui est la toute dernière partie du livre, m'a touché. Le chef d'enquête, la façon dont le groupe gère la situation; l'absence de piste sérieuse, je me suis dit il y a un fil à tirer, quelque chose à raconter. D'autant que dans la juxtaposition de suspects, et dans le livre il y en a encore plus, il y avait une image pas très glorieuse de la masculinité et des situations très cinématographiques. Notamment le type qui déboule sur la tombe trois ans après l'assassinat, c'est vraiment arrivé. Ou encore le camion de surveillance planqué sur les lieux du crime où personne n'arrive, sauf les parents qui viennent se recueillir... C'est fort. Enfin c'est bizarre de dire que c'est fort pour une fiction quand on sait qu'il y a une vraie souffrance, une vraie douleur derrière.

A ce propos, comment appréhende-t-on la réaction de la famille de Clara ?

Quand j'ai lu la description de l'enquête dans le livre de Pauline, j'ai dit que je voulais traiter cela comme une fiction, je ne veux pas en savoir plus, ni essayer de rencontrer les parents. Pour garder, c'est étrange de dire ça aussi, une liberté créative, pouvoir rajouter des choses ou en enlever, ne pas me sentir lier. En plus c'était une affaire qui n'avait pas été médiatisée, je crois qu'il y avait eu deux articles dans Le Parisien en 2013 ! C'est juste quand on a commencé à écrire le scénario que l'émission Appel à témoins a tout d'un coup repris l'affaire. Mais je ne l'ai pas regardée. Comme cette enquête est donc déjà abordée dans le livre, quelque part, moralement, je me sentais dédouané de la question de savoir si on profitait ou pas d'une souffrance. Je ne pensais pas non plus que le film ait une telle médiatisation, personne n'allait le voir et les parents n'en entendront jamais parler. Du coup lors de la cérémonie des César j'ai cru bon de rappeler qu'il y avait une vraie victime derrière le film, j'ai rappelé son prénom. Et il y a deux semaines, leur neveu qui connaissait quelqu'un dans le monde du cinéma, m'a téléphoné pour me demander si les parents de Maud (Clara dans le film) pouvaient m'appeler. J'ai dit oui bien sûr. Et c'était pour me remercier. C'était très émouvant. Ils avaient vu le film, ils étaient très touchés et l'hommage que j'avais rendu à leur fille aux César, les avait également touchés. J'étais ému et soulagé de savoir, comment dire... que le film avait apporté un peu de positif.

Juste avant La nuit du 12, vous aviez tourné Seules les bêtes, d'après un roman noir de Colin Niel. Cette littérature, le polar, est un bon terreau pour raconter les histoires dont vous avez envie ?

Pas toute la littérature noire. Il y a des trucs qui ne m'intéressent pas du tout et notamment tout ce qui est serial killer. Le livre de Colin a quelque chose de très singulier, il a son univers, et puis le relier à Abidjan, il y a des images qui surgissent, il y a quelque chose qui se passe. Mais que ce soit dans n'importe quel genre littéraire, c'est rare de tomber sur un livre qui vous interpelle, sinon je ferais un film tous les six mois ! Et puis il faut apporter quelque chose de plus que le livre. Cela ne veut pas dire mieux, mais un objet cinématographique qui puisse exister en lui-même. Une adaptation fidèle cela ne veut strictement rien dire parce que si le réalisateur n'apporte pas une touche personnelle... ce qui est important c'est de garder l'esprit. Ou ce que l'on a ressenti à la première lecture du livre. Pour mes deux dernier films, il se trouve que Colin et Pauline étaient super contents du résultat.

Etes-vous un lecteur compulsif ?

De non-fiction en ce moment. J'ai fini Sambre, d'Alice Géraud, qui a reçu le prix polar et justice de Quais du Polar, cette année. Et c'est passionnant. L'histoire d'un serial violeur qui a sévi sur trente ans et elle raconte cela seulement du point de vue des victimes. C'est incroyable. Cela raconte les manquements de la police, de la justice mais pas dans un esprit revanchard ou de dénonciation. C'est factuel. Pour la première fois, j'ai compris qu'un viol pouvait démolir toute une vie et je ne l'avais jamais lu d'une manière aussi forte. Un livre qui devrait être une lecture obligatoire dans toutes les écoles de police.

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