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The killer inside me

Littérature noire

Brazilian psycho : corruption, meurtres et caïpirinhas

Dans la postface de ce roman monstre, Joe Thomas avoue avoir emprunté une expression à James Ellroy, " je lui dois bien plus que cette seule citation ". De son côté, David Peace assure la promotion en parlant d'un " chef-d'oeuvre explosif "... Il vous en faut plus que ces deux gars-là pour vous convaincre de dévorer Brazilian psycho ? Il ne faut surtout pas se laisser impressionner par les 580 pages de ce qui est, en fait, le quatrième tome d'une tétralogie consacrée à cette ville-état, cette ville-monde qu'est Sao Paulo, 12 millions d'habitants, un urbanisme fou et une criminalité qui ferait passer Marseille pour un Ehpad de Chanteloup-en-Brie.
Le roman commence par le meurtre sadique d'un trans dans un parc, le soir de l'élection de Bolsonaro en 2018. Coup de moulinette de la machine à remonter le temps et le lecteur se retrouve en 2003. Ray et Lisboa, enquêteurs de la criminelle, débarquent à la très chic école britannique, lieu d'éducation de toute la société bourgeoise pauliste : le principal a été retrouvé dans son appartement, le crâne défoncé. Lula a été élu président du pays l'année précédente et, du Texas, débarque Ray Marx, homme de l'ombre chargé de transmettre des mallettes de cash pour que les business continuent de tourner. Deux femmes, spécialisées dans le droit, montent un bureau d'aide juridique aux portes de la favela de Paraisopolis. Elles se chargent de remplir les dossiers des familles qui ont droit à la bolsa familial, une aide révolutionnaire  censée faire reculer la pauvreté. Enfin, Fara et Franginho sont deux gamins de la favela, embauchés par "ceux d'en haut", les caïds, pour surveiller tout ce qui se passe.
Sous ce gouvernement de gauche, la corruption ne faiblit pas : les programmes immobiliers sont détournés par les groupes BTP, les aides sociales sont captées par les bandes criminelles qui mettent la pression sur le pouvoir. Au point, en 2006, le jour de la fête des mères, d'organiser des permissions exceptionnelles de prisonniers pour mettre le chaos dans la ville.
Brazilian psycho est clairement un must, jonglant avec un talent fou entre les faits que Joe Thomas, journaliste de son état, a pu récolter sur le terrain, et une matière plus romanesque destinée à donner un fil cohérent à la narration. Ce n'est pas un hasard donc si David Peace salue le travail de Joe Thomas car il doit s'y reconnaître en quelque sorte, tant l'analogie est évidente. On aime le personnage de Ray Marx, enflure totale, intrusion américaine tellement insupportable et, en même temps, un méchant tellement vicieux que l'on en redemande. On aime aussi Renata et sa love story avec Lemme, parce qu'elle sonne juste, sans trop de chandelles ni de violons. Et il y a aussi Rafa, cette petite crapule en skate, conscient de l'injustice de cette société et conscient aussi qu'il faut choisir le camp du plus fort. Pour l'instant. Le kaleidoscope de personnages offre cette vision globale de la ville, du pays, sans laquelle le texte resterait dans l'obscurité, chacun et chacune éclaire les facettes de cette réalité, sans que cela soi didactique, universitaire, chiant quoi.
Le mérite de ces 580 pages, c'est d'expliquer au lecteur occidental quelques uns des grands scandales qui ont frappé le Brésil ces dernières années, et comment le pays en est venu à voter pour celui que Joe Thomas décrit comme un grand psychopathe, Bolsonaro. C'est de la politique pure. Et dure. Mais vraiment dure en revanche. Les époux Balkany à côté, c'est le pays de Candy ! Pour tout dire, c'est passionnant, hyper violent, entre violence d'Etat et violence des gangs, l'une répondant à l'autre, c'est aussi très tendu. Bref, vraiment inattendu, renversant, ambitieux et réussi. Une belle surprise de 2023.

Brazilian psycho (trad. Jacques Collin), ed. Seuil, 590 pages, 24 euros
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