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The killer inside me

Littérature noire

Double dose de nouvelles avec Marc Villard

On lit des nouvelles parce qu'en une heure de lecture, on peut passer d'une balade parisienne avec Edward Hopper à un cireur de chaussures dans les rues de Lisbonne. D'une bande de voyous du 14e à Paris à la disparition d'Elvis Presley sur un atoll des Caraïbes... Trente-six ans séparent ces deux recueils de nouvelles de Marc Villard : Au pied du mur, chez feu les Nouvelles Editions Oswald (ces couv' tout de même !) et  L'homme aux doigts d'or (édition Cohen & Cohen (là encore couv' magistrale). Trente-six ans donc mais la même richesse d'imagination, la même faculté à raconter la petite histoire et celle des artistes que l'auteur affectionne. Le lecteur est souvent au ras des pavés, dans les rues, dans les portes cochères, sous la neige, la pluie. Marc Villard est un grand novelliste, expert dans cet art de la concision qui ne souffre pas la médiocrité et nécessite un talent hors norme pour la chute.
Au pied du mur (1985, 14 nouvelles). Un journaliste infiltré dans un gang, un clochard dealer, une épouse internée, un batteur de jazz talentueux mais loser... Marc >Villard a presque ans lorsqu'il boucle ce recueil. Il a été publié une poignée d'années plus tôt par Rivages et La Série Noire mais, écrivain prolifique, il reste fidèle aux textes courts. Parfois violentes, parfois drôles, souvent tragiques, ses histoires touchent parce qu'elles racontent un quotidien. On retient par exemple Clara n'est plus ici, histoire d'amour terrible et devenu impossible derrière les barreaux, avec cette femme tombée dans une forme de schizophrénie ultime. Il y a aussi Vietnamisé et son ancien soldat du Vietnam hanté, jusqu'à Amsterdam, par les horreurs de la guerre. Des histoires de défaites, de vies gâchées, d'instants de joie fugace , noyés dans la maelstrom d'existences à la dérive. " De meublé en meublé, j'ai fini par glisse dans les marigots de l'Occident chrétien. L'hôtel Moderne est régenté par les cafards et la chose qui trône derrière la réception peut dégommer une mouche à rois mètres avec son haleine. ". C'est noir mais toujours avec la poésie chère à Villard, des moments sublimés par un regard, un espoir.
L'Homme aux doigts d'or (2021,10 nouvelles). Thelonious Monk, Pancho Villa, Chet Baker, Miles Davis, Edward Hopper donc... New-York, Paris, Lisbonne, Ciudad Juarez... la fertilité de Marc Villard ne connaît ni limites, ni frontières. Il offre ici encore son amour de l'Amérique et des grands artistes mais célèbre également le Portugal à travers trois nouvelles, autour du journalisme (Bélem, particulièrement retorse), de la révolution paysanne et du jazz, pour ne pas changer. Insaisissable, l'auteur se promène aussi durant la révolution mexicaine de 1911, entre putes souriantes et rodéos (tiens encore un Parker, patronyme qui colle à Marc Villard). Trois décennies après Au pied du mur, on constate que Marc Villard n'a rien perdu de son goût pour le noir, alternant entre nouvelles musicales presque en forme d'anecdotes (Just you juste me) et une sombre histoire de yakuzas avec Miles Davis (Honda... la pub existe vraiment) ou encore l'enlèvement d'un bébé (La route de Modesto).
Ecrire court n'a rien d'évident et l'auteur de La guitare de Bo Didley a trouvé une mécanique imparable, un style aussi, fait d'une fausse simplicité où chaque mot possède sa lumière plus ou moins forte pour éclairer l'intrigue, chaque paragraphe va immédiatement à l'essentiel. Et, une nouvelle fois, que dire des chutes. Dans L'homme aux doigts d'or, c'est un festival : " ils sont contents de leur journée, un dollar c'est toujours bon à prendre ", " Il lui reste vingt-deux ans à vivre. Et ça sera pas du gâteau ", " Puis il imagine Raquel, la prostituée aux cheveux cuivrés, un peu boudeuse sur son plumard. Elle lui paiera un verre en guise d'adieu ". Jamais moraliste mais bien naturaliste, Marc Villard a une oeuvre que l'on peut picorer sans jamais se tromper.

Au pied du mur, ed. Neo, 148 pages, 3 euros d'occasion.
L'homme aux doigts d'or, Cohen&Cohen, 122 pages, 17 euros.
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