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The killer inside me

Littérature noire

Le livre de Daniel : un homme est mort

On a besoin de livres comme celui-ci pour voir le monde. Pas que le lecteur soit un être aveugle, doté d'œillères mais la société subit des changements tels que, soit on ne les aperçoit pas, soit on les oublie. Le livre de Daniel prend le temps justement, lui, de s'attarder sur un fait divers, passablement sordide, et qui illustre, malheureusement, notre temps. Plus personne n'ignore aujourd'hui que le fait divers, décortiqué, expliqué, en dit long sur son époque. Chris de Stoop, journaliste et auteur de ce récit de non fiction, est le neveu de Daniel Maroy, fermier belge de 84 ans assassiné dans sa ferme, à la frontière française, à l'hiver 2014. Etre solitaire, devenu bourru, il ne faisait de mal à personne dans son village de Saint-Léger. Il refusait simplement de se mêler désormais aux autres, s'occupant de sa poignée de vaches, sortant seulement le samedi à la moyenne surface du coin pour s'acheter un steak de boeuf local (payé en liquide) et s'arrêtant quelques secondes devant le foyer de celle qu'il aurait tant aimé épouser. Son malheur aura été cet argent qu'il exhibait une fois par semaine. Une poignée de billets qui va attirer une bande de jeunes zonards du coin...
En ayant accès au dossier judiciaire, Chris de Stoop ne se contente pas de raconter l'effroyable. Il va au-delà et évoque son oncle, qu'il connaissait peu finalement, avec une extrême tendresse et ce sentiment que le monde rural a vécu. " Daniel n'avait pas besoin de quitter sa ferme pour être quelqu'un.  Il était maître de sa vie, maître de son temps, à chaque seconde. Le temps pouvait s'étirer autant qu'il le voulait. S'il avait envie de rester toute la journée couché sur son divan, il le faisait. " En 2014, Daniel est un anachronisme tant il refuse de participer au monde. Pas de besoins matériels, pas de besoins de socialisation, pas d'argent à la banque, pas de voiture. Il vit presque comme ses parents vivaient, comme ses ancêtres, lignée de fermiers de ces terres sombres et riches de la région du Hainaut. Une existence qui va entrer en collision avec une jeunesse désoeuvrée, abandonnée et violente. Stanley Kubrick et son Orange mécanique n'y auraient pas trouvé beaucoup à redire tant le phénomène de bande est puissant dans la mort de Daniel Maroy.
Et l'auteur va démonter tous les ressorts du drame, sans pathos, sans pardon non plus. Le livre de Daniel ayant été écrit peu après le procès, qui s'est tenu cinq ans après les faits, Chris de Stoop a pris le temps de mettre en perspective, de narrer autant l'histoire de famille, que l'histoire de la région, de la plus ancienne avec les Templiers, à la plus récente avec les exilés fiscaux français. " La ferme est aujourd'hui occupée par un entrepreneur et le village se vide, les jeunes s'en vont, et il n'y a plus de commerces, même plus un distributeur de pain, les fermes aussi cessent leur activité. Ils ne restent que cinq fermiers, sans repreneur. "
Si Le livre de Daniel est si puissant, c'est bien parce qu'il ne dit pas seulement un odieux dossier en Assises mais une société de confiance, de respect, de valeurs, qui s'écroule. Ce n'est pas être vieux con d'écrire ainsi mais la mort de Daniel Maroy pour quelques milliers d'euros qui auront acheté une voiture d'occas', deux motos et des téléphones portables, illustre un XXIe siècle si peu humain. Les tripes sont tordues à la fin du récit.

Le livre de Daniel (Het boek Daniel, trad. Anne-Laure Vignaux) 320 pages, 22 euros
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