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The killer inside me

Littérature noire

La Route : Larcenet dans les pas de McCarthy

Il y a différentes façons d'aborder l'adaptation, au cinéma, sur petit écran ou en BD, d'un roman que l'on adore, que l'on chérit. Mais le plus souvent, on se dit que c'est inadaptable, que c'est tellement fort et surtout que les images que l'on s'est imprimées dans le cortex ne correspondront forcément pas. On sera déçu. Il peut aussi arriver que vous soyez un brin bouddhiste en vous disant, " non mais il faut laisser la liberté, de toute façon adapter c'est trahir ". Mais dans la vraie vie, cela arrive moins souvent.
Il faut quoi qu'il en soit reconnaître que Manu Larcenet a rendu une BD gigantesque. Cent cinquante-six pages de poussière, de cendre, de cadavres au sol ou pendus aux réverbères, dans des grisés parfaitement rendus, avec un découpage qui voit l'auteur se mettre presque en retrait au profit de l'histoire. La Route de McCarthy retrouve là une mise en scène qui est plus en adéquation avec le sentiment du roman que ce que John Hillcoat avait réalisé dans son film. Alors, oui on reste sur une même forme de média malgré tout, le papier, le verbe. Evidemment. Mais Manu Larcenet s'est vu donné les moyens. Cent cinquante-six pages c'est costaud pour un one shot en bande dessinée et cela fait grimper le prix de l'album à 28, 50 euros. Sauf que lire cette BD c'est retrouver le frisson de la lecture du roman tout simplement. Ces longs silences du père et du fils, poussant leur caddie, scrutant l'horizon et se méfiant des mauvaises rencontres. La quête de nourriture, la fuite vers le sud. Manu Larcenet parvient à rendre ce duo tellement petit dans l'immensité de l'effondrement de la société... C'est ici que son dessin prend le relais de la plume de McCarthy. Bien entendu que les dialogues sont présents, il y a toujours ce " alors d'accord " du fils et puis les réflexions du père, les aveux d'impuissance, les conseils. L'arrière plan apocalyptique, et biblique, résonne avec force et en 2024 sans doute encore un peu plus, presque comme une révélation.
Le respect du roman est une chose donc mais il y a le dessin de Larcenet qui est devenu gigantesque au fil de sa carrière. Si on touche parfois à la gravure dans ce volume, il y a surtout un jeu chromatique habile, l'auteur expliquant avoir utilisé quatorze sortes de gris, avec parfois un soupçon de rose, d'orangé, quand le soleil perce les cendres.
Dans le dossier de presse, Manu Larcenet explique : " il y avait dans La Route un univers sans vie, des paysages apocalyptiques, cassés, sales, crasseux même et surtout morts. Un décor sans nature, sans feuilles, sans animaux. J'ai craint de ne pas parvenir à tenir dans la durée, étouffé par cette froideur. Et c'est la cendre, omniprésente, qui a tout transformé, en habillant ce décor, en le teintant... je suis très sensible à la lenteur et à l'absence de scènes d'action hollywoodiennes. Il n'y a pas d'arc narratif classique mais plutôt une succession de scènes parfois contemplatives. "
Cet album met le curseur très haut.

La Route, ed. Dargaud, 156 pages, 28, 50 euros (une version améliorée de 176 pages est à 39 euros)
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