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The killer inside me

Littérature noire

Dead Stars : Whitmer encore plus fort, plus fou

L'Amérique, son mythe de la Frontière, ses villes champignons, la Guerre Froide, la violence familiale... Dead Stars clôt de la plus noire des façons le cycle que Benjamin Whitmer a entamé avec Evasion, poursuivi avec Les dynamiteurs. Ce n'est que le cinquième roman de l'enfant du Colorado mais il apporte une consistance nouvelle à ce que l'on peut appeler son oeuvre, ou sa carrière.
Parce qu'ici il pousse le curseur des personnages gris, voire gris foncés. Attention Dead Stars n'offre que peu d'optimisme dans l'Homme. Son titre déjà fait directement référence à la poussière d'étoile qui constitue chaque être humain et à ces étoiles mortes dont la lumière nous parvient encore. Et pour Whitmer, sans ambigüité, l'humanité est déjà morte, personne ne le sait mais c'est fichu.
Enfin si, Hack Turner le sait. Ex- cow-boy de taureau de 700 kilos sur le circuit des rodéos dans le Colorado, en cette fin d'été 1986, il travaille depuis quelques années aux Plains, l'usine de traitement du plutonium, en amont des usines de bombes nucléaires. Une vie d'ouvrier en permanence soumis aux risques de radiations. Et c'est ce qui est arrivé à son amie Connie, sous ses yeux : une explosion, terrible, presque fatale. Ecoeuré par les conditions de travail, le silence de la direction, Hack contacte un journaliste. Mais dans la petite ville de Plainview où tout le monde doit sa pitance à l'usine, ce déballage passe mal. Et c'est sans doute pour cela que lorsque Randy, le fils de quatorzeans, de Hack disparaît, personne ne se présente spontanément pour effectuer les recherches. Qu'importe, il va faire l'enquête avec son frère Withey, psychopathe de première, héritier du trafic de came de leur père, Robin, personnage violent, méchant, craint encore aujourd'hui. Avec ces deux frangins à moitié barges, il y a Nat, la fille ainée de Hack, qui ne rêve que d'une chose : quitter Plainview. Mais d'abord retrouver son frère et, bon sang ne saurait mentir, peu importe les moyens.
Roman âpre et foisonnant, Dead Stars synthétise le cauchemar américain du XXe siècle et parvient à dresser le portrait sanglant d'une famille explosée, carburant à la vodka de station-service et à la coke mexicaine. Ce n'est peut-être pas très original mais ici, c'est formidablement réussi : Whitmer lie avec talent la grande histoire américaine avec l'histoire plus intime de la famille Turner. Ce clan qui se déchire c'est l'Amérique en pleine décadence, celle de Reagan, de sa course à l'armement le plus effroyable au mépris de la santé de ses concitoyens, voire de ses électeurs (attention, histoire authentique des Rocky Flats, 1952-1989).
Il y a de la colère chez Whitmer et même de la rage. Et tout cela transpire dans sa plume qui n'offre que peu de répit et balance des scènes de claquage de têtes à coups de crosse qui font passer un frisson. Ses personnages, complexes, aimeraient faire le bien, sans doute.  Mais il est trop tard pour eux et la voie de la violence est, au final, plus facile. Surtout quand elle est en vous, que votre père vous l'a léguée. Et c'est aussi la question du sang, de l'ombre paternelle, qui irrigue tellement les romans de Whitmer, que l'on retrouve. Se défaire de l'autorité absurde et/ou violente, de l'Etat, d'un père, filer sa propre vie, c'est ce que ni Hack ni Withey ne sont parvenus à faire. Est-il trop tard pour Nat ? Dead Stars marque vraiment un tournant chez cet auteur.

Dead Stars (trad. Jacques Mailhos), ed. Gallmeister, 590 pages, 26, 90 euros
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