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The killer inside me

Littérature noire

Une journée avec James Ellroy à Bastia

Une journée avec James Ellroy à Bastia

On le dit caractériel. On le dit réactionnaire. Sans doute le prisme médiatique qui joue avec lui la même rengaine. En fait James Ellroy est d’abord un auteur cultivé et un amour. Une pâte. Avec un humour à faire hurler un croque-mort. Hier, en fin de journée, dans un théâtre municipal buvant ses paroles, l’écrivain californien a fait son show, entre cabotinage et provocations mesurées. Avec cet accent incroyable, cette voix profonde, charriant autant le soleil de Los Angeles, que ses années de dérives. Arrivé de Paris dans la matinée, avec son éditeur François Guérif et sa compagne Hélène Knode (auteur de Terminus Hollywood, chez Rivages), le Dog a d’abord pris ses aises à la Ferme de Campo di Monte, du côté de Murato. Un peu de calme, après une semaine de promotion à évoquer, disséquer, mesurer, son dernier pavé, Perfidia. Los Angeles, Pearl Harbor, l’internement des Japonais, Bette Davis, le LAPD... Un roman déjà salué par toutes les critiques comme un nouvel échelon dans sa carrière.

" J’ai condensé ces 23 jours de décembre 1941, heure par heure. Tout ce que j’écris est vrai, ou en
partie vrai, mais attention, l’internement des Japonais ce n’était pas non plus les camps d’extermination nazi ou les goulags ! D’ailleurs, en 1943, les Américains se sont rendus compte de l’énormité de la chose et ont commencé à libérer des Japonais qui se sont ensuite enrôlés dans l’armée américaine. Pour comprendre le sentiment anti-japonais de l’époque, il faut se remettre en tête le choc de Pearl Harbor mais aussi le massacre de Nankin perpétré par les Japonais en Chine, en 1937. Ils avaient tué des enfants, violé des femmes. Les Américains étaient parfaitement au courant. Je ne laisserais donc pas dire que mes compatriotes de cette époque étaient racistes, cela n’existait pas le racisme, le mot n’existait pas d’ailleurs. En décembre 1941, Los Angeles est dans un état de surexcitation, de paranoia oui, mais aussi de vie intense, il y a un blackout tous les soirs, les adultères se multipliaient, la consommation de drogues au
ssi..."

Jouant avec son chapeau, vêtu de ce léger trench coat qui ne le quitte plus désormais mais avec, toujours, une chemise hawaïenne flashy, Ellroy se confie sur la renaissance littéraire de Beth Short, le célèbre Dahlia Noir, de retour dans Perfidia : " c’était un vrai crève coeur de la faire ainsi revivre 30 ans après mon livre où elle meurt si horriblement mutilée. La voir ainsi évoluer, plus jeune, belle, libre, ce n’était pas la chose la plus facile. "

Les personnages féminins sont souvent les plus réussis dans l’oeuvre du Dog. Comme cette Joan Klein d’Underworld USA (en 2010) et, cette fois, Kay Lake : " Joan c’était une femme que j’ai réellement rencontré et aimé. Mais Kay, c’est mon plus grand personnage, qui est aussi dans le premier quartet de Los Angeles. Kay est centrale dans Perfidia et dans les prochains. C’est une femme passionnée, forte, avec une énorme libido. Elle est patriote. En fait, personne ne peut mesurer la qualité humaine de cette femme. Elle est simplement extra-ordinaire. Je l’aime. "

Après ce déjeuner fait de beignets au fromage, de charcuteries de montagne, d’étouffade de veau ( il n’a pas touché aux storzapretti !) et de quelques beignets sucrés, le Dog plonge dans sa boisson préférée, le café. Et continue, sur les personnages masculins : " Dudley Smith, je l’aime aussi parce qu’il protège les femmes mais je le déteste en fait, c’est un salaud. Par contre, Bill Parker, l’autre flic, je l’aime tout simplement. C’est un personnage réel : sans doute le plus grand policier du 20e siècle des Etats-Unis. Plein de paradoxes, pieu, alcoolique, courageux... c’est moi. "

Non. Lui est vraiment plus drôle, surtout quand il balance des potins sur le tout Hollywood. Sous l’oeil rieur de sa compagne. Passionné de cinéma, Ellroy parle finalement peu de littérature. Exceptée la sienne ! De plus en plus musicale dans sa forme. Un tic venu de sa passion pour Beethoven ? " Je ne sais pas si je peux attribuer mes structures à une musique particulière. Je sais que ça existe. J’ai appris la structure, la composition littéraire mais je ne peux dire précisément l’influence de la musique. "

A l’heure du café, il annonce que, dimanche, avant de repartir vers Los Angeles, il aimerait bien voir, à Paris, Jérémie Guez, le jeune et talentueux auteur du polar Dans les cordes, scénariste sur le dernier film Yves Saint-Laurent. Ils se sont croisés l’an dernier. Lui, Ellroy, le sexagénaire sans enfant, avoue, les yeux sur le golfe de Saint-Florent : " si j’avais eu un fils, j’aurai voulu que ce soit Jérémie..." Et puis, ce samedi après-midi, il est temps de regagner la chambre du Pietracap pour quelques précieuses minutes de sieste réparatrice : " en promo, le plus épuisant ce sont les voyages. Mais bon sang, ici, en Corse, c’est incroyable, je ne connaissais pas, bien sûr. Ce n’est pas tous les jours qu’on vient dans de tels endroits. Les interviews, ça ne me dérange pas trop. Mais je préfère tout de même la rencontre avec les lecteurs ! " Et les animaux. Grand défenseur de la cause animal. Normal pour un Dog. Une dernière caresse au chat de La Ferme. Une bise et une dédicace pour l’hôtesse, Pauline. James Ellroy a bien profité de son séjour dans l’île. Dans deux ans et demi, il sortira la suite de Perfidia. Pas dit qu’il ne revienne pas.

Bon. C'est la version " journal " ci-dessus. La version, disons, officielle. Maintenant, il y a le reste. Tout ce qu'Ellroy a balancé à midi et aussi tout ce que nous a raconté, avec passion, François Guérif, son éditeur...

Donc, ci-contre James Ellroy assis à une table d'une ferme du siècle passée, transformée en table de charme, avec toits en lauzes, murs à la chaux, glou-glou du bassin et vue imprenable, . Décor de film. Premier rôle : le Dog évidemment. On commence sur Hollywood. Nick Nolte et ses treize chiens, Nick Nolte qui dort avec un sac de couchage dans le jardin et laisse la maison aux clébards " he's such a nice guy " assure tout de même Ellroy, apparemment très proche de l'acteur. Sentiment confirmé par Helen Knode. Mais déjà, gros éclats de rires.

Puis viennent les pseudo-révélations sur la sexualité des plus célèbres stars. Gossips... Et notamment celle de George Clooney ! Nous, pauvres insulaires, bien loin des potins, tombons des nues : Clooney n'aime pas les filles ? " Son mariage n'est qu'un leurre ! Mais tout le monde sait cela. C'est ce que l'on appelle un power couple. Clooney veut faire de la politique et devenir Gouverneur de Californie ! " Ellroy se régale de ses infos, joue du sourcil, écarquille les yeux. Puis revient dans le passé. " Mitchum, Burt Reynolds faisait aussi partie d'une sorte de gay rat-pack ! " Il tente de nous faire croire que Sammy Davis Jr aussi préférait les garçons, mais là, est-ce le vin ?, on s'insurge : on ne touche pas aux idoles. " I didn't say Frankie, just Sammy ! " On essaye vainement d'axer la discussion, ô combien élevée, sur la France, les hommes politiques ? Il sait quelque chose sur François Hollande ? " Qui ?... On connaît seulement Yves Montand et Marcel Cerdan nous ! Et puis Jérémie Guez m'a raconté que l'on de vos anciens présidents était connu pour être incroyablement membré !! "

Plus sérieusement, il parle beaucoup de cinoche, n'aime pas trop Clint Eastwood, ni Jean Dujardin d'ailleurs, déteste cordialement l'oeuvre d'Orson Welles, et assure que le type le plus glaçant d'Hollywood, celui qui foutait vraiment les foies aux plus costauds, y compris à Lee Marvin ( " Hé Lee Marvin était un ancien Marine ! " s'exclame Antoine Albertini, journaliste de France 3 Corse), c'était Burt Lancaster : " a real bad guy ". C'est le moment de parler de Stacey Keach, de Peckinpah, de Mogambô ! Et puis tiens, puisqu'on parle cinéma, cette histoire avec David Fincher, pour une série télé : " on a bossé ensemble. J'aime beaucoup son Zodiac, beaucoup moins cette stupidité sur la fille tatouée (Millénium). Bref, on a collaboré, pour HBO. Le job était bien avancé mais là ça coince sérieux, parce qu'il a demandé une rallonge..." Au passage, il en profite pour dire tout le mal qu'il pense de True Detective. Je lui glisse que non, c'est une bonne première saison... sous le regard noir du libraire Sébastien Bonifay et, toujours, d'Antoine Albertini.

Le temps d'un café, c'est François Guérif, totalement silencieux pendant le déjeuner, que j'entreprends. Sur Daniel Chavarria, dont l'absence pèse il faut dire : " j'ai appris par Paco Ignacio qu'il avait fait une sacré chute à l'occasion d'une fête chez lui à Cuba. Je crois qu'il a été bien soigné ceci dit... Quel grand écrivain ! La Sixième île... on se demande si ça va fonctionner, ce récit sur deux périodes et c'est merveilleux. Et l'autre, comment s'appelle-t-il, L'oeil de Cybèle ! Formidable... " Puis c'est l'heure de l'interview, où Ellroy s'exprime sur la gestalt, cette théorie qui revient, par intermittence, dans son oeuvre : " c'est le tréfond de l'âme, son essence, le coeur. Comme dans un bouton que l'on fait éclater. C'est vraiment le coeur de l'humain... " Il avoue aussi qu'il n'est jamais aussi bien qu'à LA. Surtout qu'il a la suite de Perfidia à écrire, qu'il a besoin, viscéralement de bosser. Il accorde, tout de même, qu'une rencontre littéraire dans ces conditions de soleil, de mer, de bonne bouffe, ça le change.

Après il y a eu le show (ce n'est pas vulgaire, ni dégradant : le personnage est extra-ordinaire). Au théâtre municipal de Bastia. D'abord avec un entretien remarquablement mené par Sébastien Bonifay durant lequel le Californien a tout abordé : " Perfidia, c'est une histoire d'amour et de trahison, la chanson, en anglais et en espagnol correspond bien à l'époque... Bette Davis ? Largement surestimé... Ingrid Bergman, oui, c'était une sacrée femme. D'ailleurs j'ai eu une aventure avec elle ! A deux ans... Beth Short ? J'avais une dette envers elle... Ne me parlez pas de littérature policière moi ce que j'aimais c'était Erwin Wallace ou alors Carpetbaggers d'Harold Robbins, ça oui c'est top. Je ne parle même pas des Prix Nobel, ça c'est de la littérature qui prend la poussière sur une étagère. " Il dit ses intentions, son ambition littéraire, tout en rappelant que c'est " que " du roman. EntreMais qu'est ce qui vous fait rire, demande son interviewer d'un soir. " Cette blague, dans un zoo, de la femelle zèbre en train de se faire sauter par un lion et la zèbre se retourne et dit " Mon Dieu, mon mari arrive, fais comme si tu étais en train de me tuer ! " Bref, ovations, sifflets, applaudissements debout de 600 Corses, séduits par l'esprit mais aussi la dimension du bonhomme.

Le soir, James Ellroy s'esquive après une assiette vite ingurgitée sur la place du Marché. Et donc François Guérif raconte. James Crumley qui lui dit : " si tu arrives à faire venir James Lee Burke en France, je te paye une caisse de bourbon. " Il parle aussi de ces éditeurs qui pensent que l'on ne peut que publier des grands formats, " ce serait la seule noblesse du polar ? C'est n'importe quoi. On continuera à sortir des bons polars directement en poche. De toute façon même quand on sort d'excellents titres en grand format, les critiques nous disent qu'ils n'ont pas le temps de les lire ! Je pense à Adieu Lili Marleen, de Christian Roux qui est superbe et n'a pas eu un papier ! " Guérif regrette aussi le départ de Woodrell chez Autrement. Et puis, encore une fois, on parle cinéma : " l'adaptation de Killer inside me, par Winterbottom manque un peu du recul qu'avait Thompson. Je trouve que l'adaptation de Burt Kennedy en 76 était plus efficace, avec Stacey Keach qui jouait Lou Ford... Mais la meilleure adaptation de Jim Thompson, c'est Série Noire de Corneau. Coup de torchon, c'est trop français. C'est bien, mais trop différent du livre. " Pour terminer, à l'heure du presque dessert, on papote traduction, on dit un peu de mal de certains (les même hein, ceux qui ont massacré des dizaines d'oeuvres et les gardent en version poche avec les mêmes erreurs !), on rit de trads' farfelues...

De grands moments de livres, pour démystifier, pour partager, pour questionner, pour se faire plaisir. James Ellroy à Bastia, c'était quelque chose d'inimaginable il y a six mois. Cela a été possible grâce à une confiance toute récente. Mais aussi, surtout, par beaucoup de travail, de sérieux. Les Bastiais, les Corses, en redemandent.

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