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The killer inside me

Littérature noire

La vérité du petit juge : "même les arbre sont doués de parole"

Difficile de faire vraiment durer un bon personnage dans le monde du roman noir, qui en a déjà tellement (trop ?) vu. Etablir une série est un exercice compliqué mais aussi périlleux, où l'auteur doit savoir quand s'arrêter. Mankell, entre autres, a connu ce problème. D'autres également, tentés de s'extraire de ce qui était devenu un sacerdoce, ont été priés par leur éditeur de revenir rapidement au héros récurrent, synonyme de devises faciles, ceci même si le héros était usé jusqu'à la corde, si tout avait été dit. Pa simple. Quelles seraient en 2017 les meilleures atouts d'une série : l'écriture évidemment. Le réalisme ? L'exotisme ? Un peu d'ironie qui colle si bien à cette époque ? Dans ces cas-là, oui, Mimmo Gangemi réussit son pari. Avec La vérité du petit juge, troisième aventure d'Alberto Lenzi, l'auteur calabrais parvient à maintenir entier l'intérêt de son lecteur, contournant les éventuelles redites, pour offrir un sud de l'Italie surprenant, inquiétant, mais bien et bon vivant. En même temps, avec trois romans, se répéter reviendrait à faire preuve de fainéantise. Ou de médiocrité. Non, Gangemi continue de creuser le sillon d'une région où le crime organisé fait partie intégrante du paysage, comme de l'inconscient. La 'ndranghetta est à Gioia Tauro, au sud de l'Italie, face à la Sicile, comme le Colisée est à Rome, le Vésuve au-dessus de Naples. C'est là. Point.

Cette fois, le juge Lenzi, toujours aussi porté sur les femmes, toujours aussi ronchon, se retrouve avec le cadavre de Marco Morello, fils d'un chef de bâton, ces capo de la 'ndranghetta. L'homme a été jeté dans un trou de rocher, tête première, noyé par l'eau de pluie. Assassinat curieux, tant par la forme que par la victime. Surtout que le juge a reçu une lettre, le mettant sur la piste du cadavre. Lenzi, avec son jeune substitut, taillé dans une armoire normande mais vif d'esprit, fouille l'histoire de la victime. Comme le dit plus d'un personnage dans le roman, avec un voyou en moins, "l'air devient plus respirable." Et bim! un petit caïd autrefois ennemi du clan Morello se fait quelques jours plus tard dessouder affreusement du côté de Rome. Réponse du berger à la bergère ? Pas vraiment : un flic passe à l'arme à gauche, dans la foulée, à Gioia Tauro et cette fois, comme un porc à l'abattoir, la tête en bas et avec la bassine pour récupérer le sang pour le boudin ! Et toujours un petit message pour ce bon juge... La presse parle de serial killer, le procureur veut un coupable et Lenzi fait la bêtise de fréquenter la veuve Morello !

Mimmo Gangemi donne cette fois dans la vengeance personnelle plutôt que dans la guerre de clans ou le scandale d'Etat. D'accord, il n'y a plus la dimension politique des deux précédents opus. Quoique l'issue de celui-ci n'est pas sans dégâts sur l'image des Calabrais. De certains en tout cas. Pour le reste, le lecteur retrouve les forces de Gangemi, cette façon de parler du crime organisé avec une facilité, presque un détachement et parfois de l'ironie. " Il se rappela les films qui les représentaient bien habillés, parlant beau, à leur aise dans les meilleurs salons. Rien de tels chez Morello : sur lui et sur les 'ndranghetistes les plus âgés, Le Parrain n'avait pas laissé d'empreinte comme sur les Siciliens - Buscetta lui-même avait admis que nombre d'entre eux avaient pris exemple sur Don Corleone, passant des heures devant leur miroir pour lui ressembler." C'est une société que peint cet ancien ingénieur et le roman noir en est le meilleur pinceau. On retrouve ainsi, une fois de plus, les protagonistes du cercle Vincenzo Spato (passages étrangement supprimés dans la version italienne), repaire de vieux Calabrais, amateurs de potins, de rumeurs, de bruits, tous pétris de contradictions, de vieilles rancoeurs, d'inimitiés plus ou moins affichées. Prudents même dans leurs informations. A l'image aussi de don Mico Rota, figure mourante de la voyoucratie locale qui, dans ce monde d'omerta, averti : "par ici, même les arbres, l'herbe, les cailloux, les ruisseaux, le vent sont doués de la parole. Tout finit toujours par se savoir.

A noter enfin l'excellente traduction de Christophe Mileschi qui laisse, ici et là, quelques expressions calabraises, du plus bel effet.

La véritéetit juge (trad. Christophe Mileschi), ed. Seuil, 286 pages, 20 euros.
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