Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
The killer inside me

Littérature noire

Mauvaises nouvelles, bonnes nouvelles de Pagan

Bienvenue dans le commissariat d'Hugues Pagan. Voici Yobe-le-mou, flicard supérieurement hiérarchique et supérieurement con. Et puis Maggie, le planton qui s'endort. Et Léon, femme flic remarquable mais " le malheur lui était comme une seconde peau ". Sans oublier Fernand, le bistrotier du Maryland, " il ne pensait plus aux femmes, Fernand. Pensait plus à personne. Lui, ce qu'il berçait, c'était son crabe. Un crabe de trop de cigarettes et de mal manger. De trop de tristesse aussi."
Huges Pagan a rassemblé là douze nouvelles, écrites au cours des trois dernières décennies. On y entend encore l'argot des Pandores, le bouclard, les Bleus, endoffer, gardiens de lapins, le gazier... un festival de vocabulaire fleuri, imagé, qui fleure les années 60, 70. C'est drôle et encore aujourd'hui. Mais Mauvaises nouvelles du front, c'est surtout une question d'ambiance, des nuits passées auprès de la machine à café ("90% cambouis, 10% liquide vaisselle"), à auditionner un Jésus improbable, un Père Noël qui l'est tout autant et puis à traquer des vampires, à pister un dromadaire dans le XIIe, des pingouins dans le XIVe ! L'auteur s'amuse avec son imagination, ses souvenirs, ses fantasmes, ses détournements. Enfin s'amuse... on est plus proche du blues de Stevie Ray Vaughan que de la salsa d'Enrique Iglesias. Parce que Pagan, entre un café, une noisette et trois paquets de clopes, ramasse quelques macchabés aussi. Des dealers qui se tirent dessus, des jeunes qui s'emplafonnent en voiture (quelle scène !), un squelette bois de Vincennes, un petit escroc clamsé à Ostende... Pessimistes, tragiques, désabusées, ces nouvelles trimballent le lecteur par l'épaule, comme un grand frère, donnent à voir un monde qui n'est pas noir ou blanc mais qui est surtout noir. Ou gris foncé. Mais heureusement, c'est le syle Pagan qui illumine ces pages. "Yobe-le-mou dormait en cuvant. Cuvait en dormant. Sa fille sortait de Sup' de Co. Elle avait enfin acquis le droit de faire chier le monde entier. "... " ses traits s'étaient dissous maintenant que la rage en avait disparu. Il ne restait plus rien en lui de crotalesque. "... " les longs doigts blêmes faisaient naître lentement le hall d'accueil, les plantes vertes où on pissait les soirs de pot, la petite table et la chaise de l'hôtesse. La banquette en skaï en face. L'air sentait la poussière glacée, l'encre et le linoléum par terre. La clarté sourdait de nulle part, livide et incertaine de tout. "
Hugues Pagan pratique un polar de traverse, qui doit sans doute autant à Céline, pour ses effusions de noirceur, de crasse parfois, qu'à Manchette, pour son regard sur le monde criminel, sa gouaille aussi. Mauvaises nouvelles du front est un recueil appréciable en ces temps de profusion de littérature noire, qui nous rappelle qu'écrire ce n'est pas simple et qu'outre une bonne histoire il faut aussi une certaine classe.
A signaler, ce nouveau concept, chez Rivages, entre le poche et le grand format, idem pour le prix, et c'est plutôt réussi.

Mauvaises nouvelles du front, ed. Rivages, 287 pages, 15, 90 euros
Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article