La résistance des matériaux : l'affaire Cahuzac version cauchemar

4 décembre 2012 en Ardèche. La députée de la 2e circonscription de Lyon, vice-présidente de la région Rhône-Alpes, Djamila Garrand-Boushaki est en tournée des popotes quand Mediapart publie un pré-article sur le ministre de l'intérieur Serge Ruggieri, soupçonné d'avoir possédé un compte au Luxembourg. C'est un poids lourd du gouvernement Hollande. C'est aussi le titulaire du siège que Djamila occupe à l'Assemblée Nationale. Le mari de Djamila est par ailleurs le chef de cabinet de Ruggieri. L'onde de choc de la révélation est puissante. Le ministre nie "en bloc et en détails". Deuxième salve de Médiapart avec un enregistrement sonore, et clandestin, dans lequel le ministre évoque l'urgence à se débarrasser de son fameux compte dans le Duché. La pression monte. Y compris chez les "amis" industriels du BTP. Qui, avec l'aide d'un ancien de la DCRI devenu barbouze accompli, imagine un contre feu, une affaire, une embrouille bien dégueulasse pour détourner l'attention. La justice, elle, commence à chausser ses demi-lunes pour examiner les faits et les dires de Médiapart. Une première enquête est confiée à la PJ de Lyon et à Alain Dubak (oui celui de L'ange rouge). L'adversaire politique de Serge Ruggieri sort du bois. Mais aussi le frère de Djamila, parti dans des camps salafistes. Et l'affaire Takieddine également. Les semaines passent, la tension est palpable au gouvernement, dans les médias, les différents pièges se referment dans ce marigot de la Ve Républiques.
François Médéline, ses lecteurs le savent, a un goût immodéré pour la chose publique et, surtout, les sales coups de la politique hexagonale. Sa Politique du tumulte avait signé une forme de retour du polar politique crapuleux, des belles magouilles sous les ors républicains. Sans oser la comparaison avec Manchette, il y avait tout de même un bon vieux parfum de Série Noire scandaleuse. La Résistance des matériaux, après deux solides polars historiques, renoue avec cette veine de la manipulation, du mensonge et d'abord du fait divers authentique mis en roman. Oui parce que cette affaire est juste celle de Jérôme Cahuzac, ministre délégué du budget de François Hollande. Mais Médéline a choisi de le baptiser Ruggieri pour s'accorder les libertés nécessaires à sa vicieuse imagination. Au lecteur donc de démêler le vrai du faux. En revanche bien d'autres noms ne sont pas modifiés, de Pierre Moscovivi, à Stéphane Le Foll, Claude Guéant, Nicolas Sarkozy, sans oublier Eric Woerth à travers sa vilaine affaire, presque en même temps, de l'hippodrome de Compiègne. On retrouve aussi, en sous-main des politiques, l'agence Havas, " les pompiers des grands incendies de la République et du CAC 40. Ceux-là même qui ont bordé le naufrage DSK " et son vice-président,  le célèbre Stéphane Fouks, récemment cité pour le Business France de Las Vegas en  janvier 2016 en l'honneur du ministre Emmanuel Macron, facturé plus de 380 000 euros.... sans appel d'offres bien sûr.
Toujours dans son style syncopé, emprunté à l'un de ses modèles, James Ellroy, François Médéline dissèque une République corrompue, rongée par le pouvoir et l'argent. Ce n'est pas nouveau certes. Ce qui l'est c'est la force de l'auteur à dresser un paysage aux mille ramifications, un univers complexe qu'il décrypte et dynamite. Avec son personnage de Djamila Garrand-Boushaki, il parvient à regarder cette politique française avec, non pas candeur, mais lucidité. Et un brin de fatalisme. Pour plus de réalisme, Médé s'offre des extraits d'écoutes de la NSA sur les hommes politiques français, des passages de textos échangés. Technique pour briser la narration, pour infuser le sentiment de vérité. Parce que c'est un monde pourri mais aussi parano. Bonne année 2024 !

La Résistance des matériaux, ed. La manufacture de livres, 488 pages, 21, 90 euros