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The killer inside me

Littérature noire

Jeannette et le crocodile : la claque de Séverine Chevalier

C'est bouleversant. Dans le fond comme dans la forme. Jeannette a dix ans au début de ce quatrième roman de Séverine Chevalier, justement nommé Jeannette et le crocodile. Elle a dix ans et en autant de pages l'autrice prend son lecteur à la gorge et ne le lâche plus : Jeannette est chez elle, c'est le matin de son anniversaire, elle a préparé son petit sac, des chips, un Fanta orange, pour un voyage qui va l'amener voir Eleonore le crocodile justement qui a été trouvé il y a plusieurs années dans les égouts de Paris et dont Jeannette est tombée folle d'admiration. La petite fille attend quand sa mère l'appelle depuis la chambre. Une mère, Blandine, qui la veille au soir, a vidé une bouteille de vodka. Elle voudrait que sa fille lui apporte le reste de vin blanc dans le frigo. Mais Jeannette ne bouge pas. Alors, Blandine descend. Et se fracasse dans les escaliers.
Ce sont des vies de peines que raconte Séverine Chevalier. Pas des vies de misères non. Blandine élève seule sa fille mais elle travaille, elle a un toit. Son frère Pascal, qui vivait dans l'autre partie de la maison, a été interné pour des troubles obsessionnelles. Jeannette lui manque comme il manque à l'enfant. Blandine a aussi un couple d'amis, Eric qui travaille à l'usine du coin, sans cesse menacée, et Valérie, conseillère dans une banque. Ils ont un enfant, Robinson, mais Valérie voudrait un second enfant. Dans une France semi-rurale, où le maire voudrait relancer le tourisme thermal, on est un peu à l'ombre de la vie, sans réel frisson, sans réel malheur. Les automnes passent et voilà, Dirck, un escroc misérable qui entre dans la vie de Blandine, devenu sobre. Il lui lui fait miroiter mille choses, dont une forme de bonheur. Jeannette, elle, n'est bien que dans sa forêt, avec Robinson et le Chien.
Séverine Chevalier installe très vite le drame par le biais de l'oncle Pascal qui apprend que quelque chose est arrivé à Jeannette. Le temps est donc remonté au jours de ses dix ans et se suivent ainsi, les jours d'anniversaire, jusqu'au seizième anniversaire. La construction est redoutable, le lecteur espérant un changement dans la vie de Blandine, une lumière qui rejaillirait sur Jeannette. Avec une ponctuation bousculée, une syntaxe incroyable, l'autrice installe une ambiance, presque une menace, quelque chose de très fin mais aussi très noir. Et puis il y a ces personnages annexes, décrits en quelques lignes. Gégé, du bar. Ou Suzanne, la serveuse du restaurant. Ou encore Samia, la femme du maire. Des existences diverses, parfois difficiles, souvent subies, rarement accomplies. Enfin, dans quelques scènes d'une rare intensité, Séverine Chevalier donne le frisson. Ainsi lorsqu'Eric va chercher une crène hydratante pour les pieds de son père agonisant et qui revient pour constater que celui-ci s'est éteint pendant sa courte absence. Le fils qui décide alors, malgré tout, de passer la crème à son père, de masser ses pieds. Foudroyant.
Entre roman noir et texte d'une hyper sensibilité, Jeannette et le crocodile est forcément inclassable. Cela va peut-être emmerder certains pour le catégoriser. Mais c'est simplement un superbe roman à mettre entre toutes les mains.

Jeannette et le crocodile, ed. La Manufacture de livres, 178 pages, 16, 90 euros
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