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The killer inside me

Littérature noire

Le livre de la rentrée : rire en explosant les codes

On imagine sans peine les tranches de rires qu'ont dû se payer Luc Chomarat et son éditeur, Pierre Fourniaud, pendant l'écriture de ce roman. Le livre de la rentrée pourrait être une excroissance de L'espion qui venait du livre, du Dernier thriller norvégien puisqu'il en reprend le personnage central, cet éditeur parisien, Delafeuille, fin lecteur mais très à cheval sur ce que l'on peut écrire de nos jours, très lucide également sur ce qui se vend.
Cette fois, Delafeuille est invité chez un auteur qu'il a connu, Luc (évidemment), réfugié depuis le Covid dans le Sud-Ouest avec son chat, son chien, mais surtout sa femme, Delphine, dont l'éditeur devient assez vite fou. Entre deux apéros au Nikka et une balade pour sortir le beagle, Delafeuille confie à Luc que la nouvelle directrice commerciale met la pression pour dénicher "le" livre de la rentrée, le texte que l'on retrouvera dans au moins une sélection de prix. Cela tombe bien, Luc a un manuscrit à lui montrer : un roman autour de Delphine, sa femme. L'éditeur est curieux mais à peine convaincu, d'autant que l'auteur n'a pas vraiment pris en compte la période Metoo : elle cuisine (avec talent), elle s'occupe de son fils (avec amour), elle jardine (avec classe), elle baise (avec menottes). Non ce qui a plus de chances de marcher en septembre, c'est sans doute ce livre exclusivement composé de SMS, et évidemment bourré de fautes. Dont le jeune auteur lâche d'ailleurs : " c'est pas pour me vanter mais c'est vachement profond. Je ne sais pas comment vous dire.... c'est le livre de la rentrée. " Delafeuille, lui, poursuit le manuscrit de Luc, ne sachant bientôt plus trop quand se situe le roman, quand se situe le monde réel : " cette scène où nous conversons agréablement dans un paysage bucolique , On l'a déjà lue, non ? "
Mise en abyme remarquable de finesse, de drôlerie, Le livre de la rentrée n'en est pas moins un texte d'une douce intelligence. Une nouvelle fois, sans chausser de lourds sabots, Chomarat esquisse le portrait d'un monde littéraire toujours tourné, voire encore plus, vers le business. Certes il nous avait déjà parlé de cela, notamment dans Un petit chef d'oeuvre de littérature mais il trouve ici un ton juste, sans jouer les moralisateurs, en s'appuyant sur son personnage de Delphine mais également sur Raoul, libraire enthousiaste de Gibert. On est entre l'ironie (ce livre de SMS) et la lucidité ("les Français ne lisent plus ils écrivent") sans être jamais méchant. Mais Le livre de la rentrée peut aussi être lu sous l'angle du personnage féminin dans la fiction. Delphine, mère au foyer souriante, belle, au corps encore tonique, aux petits soins pour son homme est-elle une femme du passé, voire une caricature, à l'heure de MeToo ? C'est ce que pense Delafeuille. Pas Delphine. Qui s'assume parfaitement. Les échanges entre l'éditeur et l'épouse sont malins, pertinents, sous tendus aussi par le désir, qu'il s'interdirait presque, de Delafeuille pour Delphine.
Reste une fin incroyable, digne de Twilight Zone, quand Delafeuille se rend compte qu'il est un personnage de roman, qu'il n'est pas réel mais qu'il se rend tout de même au festival de Nancy pour suivre l'auteur du roman à base de SMS. Du grand art. Le livre de la rentrée est passionnant et personne ne vous parlera avec d'autant d'amour et de vivacité de littérature.

Le livre de la rentée, ed. La Manufacture de livres, 236 pages, 19, 90 euros
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