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The killer inside me

Littérature noire

Qui après nous vivrez : no future

On savait tous que ça arriverait mais on ne savait pas quand. Ni comment. On s'attendait au pire, mais pas à ça. " Le pire, c'est, en 2050, une nouvelle pandémie à cent millions de victimes, un non-retour climatique franchi depuis une dizaine d'années et là, maintenant, une panne électrique générale. Les révoltes sont à chaque coin de rue. Les Etats explosent. Les sociétés aussi.
Hervé Le Corre sonne l'alarme à travers un roman d'anticipation flippant et puissant. Comme d'autre avant lui, que ce soit St John Mandel, Boris Quercia ou Chris Brookmyre, il délaisse, pour un temps, le roman noir et ses remous sociaux pour une fiction, tout aussi noire, mais futuriste, post-apocalyptique. Qui après nous vivrez marche dans les pas, c'est le cas de le dire pour ce road movie presque mad maxien, de Rebecca, fuyant ce qui sera le premier et seul logement de ce roman, d'Alice, sa fille puis de Nour, sa petite-fille, devenue mère à son tour. Croisant les époques, Le Corre dépeint ainsi quasiment 75 ans d'une lente et douloureuse chute de l'humanité. Dans l'hexagone soit, mais l'exemple vaut pour le reste du globe. A travers ces différentes fuites, ces multiples recherches d'oasis, d'abris ou de communautés, c'est un peu l'histoire d'aujourd'hui que l'auteur balance à la gueule du lecteur. Et même l'histoire de toujours chez les humains. Avec ces travers immémoriaux de soif de pouvoir, de manipulations, d'égoïsme, couronnés évidemment par une violence souvent primaire, parfois plus vicieuse. Le monde d'après ? Mon cul oui.
Il y a une forme de fatalisme dans Qui après nous vivrez, notamment lorsque Rebecca et sa fille Alice parviennent dans un village du Queyras, reclus, organisé en auto-suffisance, où les habitants retrouvent les gestes anciens pour faire du pain, cultiver la terre... avant que la meute des hommes ne viennent effacer tout cela dans un bain de sang. Fatalisme et peu d'espoir. Sauf dans les femmes pour Hervé le Corre. L'auteur en a visiblement sa dose de la main mise masculine sur les affaires du monde et passe le flambeau à ces trois dames héroïques et belles. Elles ne sont pas des Lara Croft, elles en prennent plein la gueule pendant 400 pages mais elles tiennent, sans doute grâce à une force à part, celle-ci sans doute tirée de leur enfant à leurs côtés. Trois portraits, une fois encore, réussis.
Chaotique (on retrouve le goût de l'auteur pour les villes en ruines), violent, angoissant, ce quinzième roman d'Hervé Le Corre n'est donc pas moins politique que ses précédents : ce n'est pas à 68 printemps que l'homme va lâcher ses convictions. Il reste un militant de la base : " elle avait lu qu'au début du siècle dernier les humains avaient commencé le danger mortel qui les menaçait, mais les puissants et les riches avaient choisi d'ignorer les alarmes et continué de jouir de leur domination comme un soudard cannibale... " C'est le petit bémol du roman tant le texte se suffit, dans la situation d'aujourd'hui, de cet hiver 2024, pour saisir les urgences multiples de notre monde, avec cette expression si juste d'une humanité en train de danser au bord d'une falaise. Du polar à l'anticipation, à la SF, si politique on l'oublie parfois, il n'y a qu'un pas que le Bordelais saute avec une aisance confondante, dans un style riche, parfois lyrique.
Quant au titre, sublime, il renvoie évidemment à François Villon et les premiers vers de sa fameuse Ballade des pendus, " frères humains qui après nous vivez, n'ayez les coeurs contre nous endurcis... " Parce qu'au-delà du fatalisme, transpire une certaine culpabilité dans le monde que l'on laisse.

Qui après nous vivrez, ed. Rivages, 394 pages, 21, 90 euros
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