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The killer inside me

Littérature noire

Il était une fois en Amérique : le roman tant attendu

C'est un événement. Le mot, pour une fois, n'est pas galvaudé tant Il était une fois en Amérique (The Hoods, au départ) est un livre espéré depuis si longtemps que certains en avaient oublié jusqu'à son existence. Evénement parce que c'est la matrice du grand film de Sergio Leone, le roman (paru en 1953) qu'il a lu dès 1967, pour lequel il s'est battu afin de l'adapter, faisant appel aux meilleurs pour le scénario, travaillant douze ans sur le texte, coupant, découpant, pour finir par présenter 3 h 41 de pur cinéma à Cannes en 1984.
C'est un événement aussi parce que The Hoods n'avait jamais été traduit en France. Deux autres romans d'Harry Grey ont été publiés à La Série Noire (Né un dimanche et La crème des hommes à la fin des années 50) mais pas celui-ci. Son tout premier texte, largement autobiographique puisqu'Harry Grey, alias Herschel Goldberg, a fait partie de la fameuse Yiddish Connection des années 30 à New-York, payant son engagement criminel de quelques années à Sing-Sing, période qu'il a mis à profit justement pour rédiger The Hoods. L'an passé, c'est Arnaud Hofmacher, directeur de collection chez Sonatine qui a revu le film, s'est interrogé sur l'absence du livre dans l'hexagone et s'est mis en quête des ayants droit.
Enfin, c'est un événement parce que le roman, simplement, est bon. Peut-être, avouons-le, parfois un peu long sur les passages avec les femmes, avec des scènes qui ne sont pas les plus fines, mais pour le reste, c'est une formidable et dramatique saga, qui va du célèbre casse chez le marchand de bijoux, à une arnaque à la machine à fabriquer des dollars, au démantèlement rocambolesque d'un casino et jusqu'au soutien, intéressé, d'une grève des liftiers. Le lecteur retrouve donc Noodles, le narrateur (spécialiste du cran d'arrêt), Max, Cockeye, Patsie, mais aussi la belle danseuse Dolores, Fat Moe, les sandwiches à la viande de chez Katz's (qui existe toujours), les gâteaux à la crème, l'opium et la Prohibition bien sûr. Surtout Harry Grey dépeint son quartier, Delancey Street, avec le Williamsburg bridge en perspective, peuplé de juifs d'Europe de l'est, comme un véritable cloaque, où règnent puanteur et misère. Les premiers instants du roman voient d'ailleurs le père de Noodles casser sa pipe et la mère et les deux enfants à la rue, sauvés par l'intervention de l'oncle de Max. Le caniveau de son enfance est le creuset de l'histoire de Noodles qui, dans sa carrière de criminel, n'oubliera jamais ses racines, même si son jeune frère lui reproche de ne plus passer voir leur mère. En cela, et en bien d'autres choses, le livre diffère vraiment du film puisque Noodles, plus d'une fois, signifie son écoeurement face aux profiteurs, aux patrons, aux puissants qui maintiennent ses semblables dans la pauvreté. The Hoods, depuis les premiers vols à l'adolescence, est le portait d'une criminalité cruelle, adossée aux grandes familles mafieuses de Franck Costello, Al Capone (petit passage sur le massacre de la saint Valentin à Chicago), une criminalité qui n'a rien de très romantique sinon à travers la fraternité de ces quatre amis.
Détaillé, violent bien sûr, mais aussi parfois drôle, Il était une fois en Amérique le livre explique aussi le temps qu'a pris Leone pour faire son film : car la moitié du scénario n'est pas dans ces 600 pages ! Et on se fiche de savoir si le réalisateur a respecté ou pas le texte : le film est un chef-d'oeuvre et The Hoods un grand roman sur la mafia juive et sur l'histoire de l'Amérique. A placer, par exemple, aux côtés des polars de William R. Burnett, autant pour les qualités littéraires que pour le témoignage.
La préface de Sergio Leone, écrite en 1984, est l'indispensable cerise sur le gâteau.

Il était une fois en Amérique (The Hoods, trad. Caroline Nicolas), ed. Sonatine, 610 pages, 24, 90 euros.
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