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The killer inside me

Littérature noire

Motel Life : sombres existences à Reno, Nevada

Les Etats-Unis ont vraiment cette merveilleuse tradition de littérature du peuple, des romans, loin des grandes villes, qui s'attachent à raconter les grandes fractures de la société. Cela tient peut-être à la formation, ou à la non-formation justement, de ces auteurs, grandis à l'écart des prestigieuses universités, devenus hommes et femmes en travaillant au milieu de leurs semblables. Steinbeck n'a-t-il pas ramassé la betterave avant d'écrire ? On ne sait pas les métiers que Willy Vlautin a exercé avant de prendre, de chanter ou de jouer de la guitare. Mais son premier roman, Motel Life (2006) sent le vécu à plein nez.
L'automne 1996, à Reno, Nevada. Il neige déjà. Plus que neiger, ce sont des paquets de neige qui tombe quotidiennement. Une nuit, Jerry Lee prend sa voiture et, dans l'obscurité, ne voit pas le gamin qui se jette en vélo sous sa voiture. Le pauvre môme finit sous les roues. Mort. Paniqué, Jerry Lee se rend chez son jeune frère, Frank, pour qu'il l'aide à se débarasser du corps. Cela a beau être un accident, Jerry Lee développe une culpabilité mortifère. Et la peur d'être interpellé. Tous deux, la petite vingtaine, sont orphelins, vivent de petits boulots, dans des motels à peine moins que crasseux. Ils ont beau essayer de fuir Reno, la malchance, ou les mauvaix choix, les ramènent à leur point de départ. Jerry Lee déprime, tente de se suicider et se tire une balle dans sa jambe déjà amputée, après un triste accident de train... Frank doit prendre les choses en main.
La grande qualité de Motel Life est dans cette relation entre les deux frères, un amour puissant dans lequel Frank tient le rôle de l'homme fort, du père quasiment. De la mère aussi. C'est lui qui va trouver les solutions, lui qui va trouver l'argent, lui qui va prendre soin de l'aîné abîmé. Et c'est encre Frank qui raconte ces histoires sorties tout droit de son imagination, véritable baume sur l'âme meurtrie de Jerry Lee. Mais Willy Vautlin sait aussi glisser son roman de personnages incroyables, des connaissances des deux frères, que ce soit un jeune obèse persécuté par sa mère, un ami qui veut acheter des grenades russes... un kaleidoscope de vies fêlées. Si Reno, ville de casinos, sent la déprime, l'enfermement, Frank a cette petite flamme qui peut lui laisser espérer des jours meilleurs. Elle reste toutefois fragile, cette flamme.

Motel Life (trad, David Fauquemberg), ed. J'ai Lu, 254 pages, 7, 10 euros
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