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The killer inside me

Littérature noire

Sale boulot : huis clos poisseux entre deux soldats fracassés

On peut faire confiance à Larry Brown pour nous piétiner le coeur à grands coups de rangers. Avec Sale boulot (La Noire en 1997, Gallmeister Totem en 2018), voici Braiden Chaney, cloué sur son lit d'hôpital depuis vingt-deux années, sans bras ni jambes depuis une embuscade au Viet-Nam. Rejoint dans son enfer blanc par Walter James, défiguré par une mine Claymore et, pour faire bonne mesure, une balle en pleine tête, toujours là-bas, dans cette guerre dégueulasse. Les deux hommes, ou ce qu'il reste de leur humanité, vont faire connaissance dans de longs monologues au cours desquels ils se livrent, racontent leurs enfances, tous deux dans les champs de coton, dans la misère des noirs, dans la misère des blancs. Et ils vont finalement aborder la guerre et le jour sanglant qui a bouleversé leurs vies respectives. Un lien se tisse forcément. Walter, doux dingue, sirote les bières que l'homme tronc conserve dans son frigo personnel et puis il fait la connaissance de Diva, voluptueuse infirmière qui s'occupe presque personnellement du malheureux Braiden. Dans le huis-clos de cette chambre d'hôpital, Braiden va demander un service à Walter.
Fort, douloureux, dramatique, Sale boulot, en empoignant le thème des soldats victimes de guerre, ne pouvait qu'être une expérience littéraire assez ultime. Le cinéphile pense, un peu vite, au film de Dalton Trumbo, Johnny's got a gun, mais là c'est tout de même différent puisqu'il y a toute cette dimension de l'Amérique des pauvres, de ces gens du Sud, envoyés au casse-pipe. Et puis c'est ici un échange. Larry Brown a cette idée merveilleuse, de laisser chacun déblatérer sans jamais être interrompu par l'autre. Cela donne des pages de monologue, une langue parlée (respect au traducteur) très vivante, imagée et bien entendu, réaliste. Il y a des putain !, des enfoirés ! et il y a avant tout des scènes que l'on imagine très bien vécues par l'auteur lui-même, comme cette histoire de Hugh Jean tué par le sabot d'un mulet et son enterrement au bout du monde, illuminé par le choeur gospel de quelques vieilles femmes. Enfant du Mississippi, Larry Brown, outre une réflexion sur le Viet-Nam, offre cette vue sur son Sud pauvre, déshérité. Véritablement habité, Sale boulot est un grand roman.

Sale boulot (Dirty work, trad. Francis Kerline), ed. Gallmeister, 203 pages, 8, 20 euros
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