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The killer inside me

Littérature noire

Les fils de Shifty : le Kentucky, sa nature, ses hommes, ses flingues

C'était le code des collines, qu'il essayait de dissuader les autres de suivre, un chemin qui pouvait conduire à un ban de sang sur plusieurs générations, un chemin sur lequel il se trouvait lui-même engagé. " Le rural noir, c'est rarement un moment de naturopathie ! Après Nuits Appalaches et Les gens des collines, Chris Offutt, avec Les fils de Shifty, poursuit sa formidable sociologie de la campagne du Kentucky, ses villages du XXIe siècle, paumés dans des replis de moyenne montagne, où les bâtiments tombent en ruines mais pas les mentalités. Le monde de Chris Offutt est un monde de rednecks mais il s'écarte du cliché racistes, alcoolos, pour s'intéresser à une communauté pour laquelle il éprouve une sincère tendresse.
En premier lieu envers Linda, cette shérif de Rocksalt, arrivée un peu par hasard à ce poste. Jurant comme une charretière, elle prépare l'élection à son poste, en concurrence avec un mâle sexiste. Elle doit aussi gérer le retour de son frère, Mick, officier de la police de l'armée, blessé à une jambe en Afghanistan et qui se retape doucement. Mutique comme beaucoup de gens du pays, il a conservé une forme de nostalgie de son Kentucky. Et son village le lui rend bien. D'ailleurs Shifty Kissick lui fait confiance pour retrouver celui qui vient de tuer son fils dealer. Shifty, c'est Ma Dalton : pétoire à portée de main, veuve gaillarde, mère de cinq enfants dont trois garçons. Enfin, aintenant plus que deux. Non, un, puisque Mason se fait lui aussi descendre. Il se passe quelque chose de pas vraiment net dans ce qui était un plutôt paisible coin des Etats-Unis.
Les auteurs américains ont ce sens littéraire aiguisé, allant très vite à l'essentiel, campant leur décors et leurs personnages en trois coups de pinceaux efficaces. Une première scène avec un cadavre, une deuxième avec le personnage principal, soldat meurtri dans sa chair et pas que : " la ville exigeait une patine sociale qu'il n'avait pas, un exosquelette de politesse. " Chris Offutt est quasi clinique, mais toujours humain, et sa narration est surtout imparable, avançant et posant les hommes, les femmes sur la route de Mick. Il y a donc Linda, Shifty mais aussi l'adjoint de sa soeur, la standardiste et puis le formidable Jacky, inventeur parano, capable de démonter un moteur de pick-up et réfléchissant à " un manteau qui rend invisible, par exemple. L'arrière a une caméra. Le devant a un écran. Il diffuse ce qu'il y a derrière toi. Si on te voit venir, on croit que t'es pas là. "
La violence va bien entendu survenir, inexplicable d'abord, injuste forcément. Et Mick va en prendre sa part. Comme dans les romans de Ron Rash, il y a un côté paradis perdu à Rocksalt. Parce qu'Offutt ne manque jamais une occasion de remarquer un colibri, une bécasse, un épervier de Cooper, un merle d'Amérique qui s'envole ou se pose sur un micocoulier, un chêne. La nature est là et elle observe le manège sanglant des hommes. Comme d'ailleurs ce vieil oncle de Sandra, la standardiste du commissariat, honorable monsieur occupé à surveiller des juvéniles tombés du nid. Il y a quelque chose d'inaltérable chez ces gens des montagnes, lié à leur environnement, ils seront toujours capables de s'émerveiller devant un amandier en fleurs puis de dégainer leur glock pour réclamer justice. Et ça, Chris Offutt le raconte avec talent.

Les fils de Shifty, (Shifty's boys, trad. Anatole Pons-Remaux), ed. Gallmeister, 275 pages, 23, 50 euros
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